Dans tous les meetings d’aviation, que ce soit à Paris ou en province, en France ou à l’étranger, les pilotes d’acrobatie remportent, auprès du public, un succès qui est parfois considérable, et attirent sur eux l’attention de tous les collègues aviateurs. Car la haute école aérienne est restée captivante pour ses adeptes, fertile en émotions pour les spectateurs ; elle révèle des talents nouveaux et ses possibilités demeurent illimitées.
Les pilotes civils monopolisent les épreuves d’acrobatie, les militaires étant attachés à leur régiment respectif.
A Vincennes, Doret, Détroyat, Brévier, Villechanoux et Magnard ont rivalisé d’audace et d’habileté. Mais Doret et Détroyat, disposant d’un matériel d’acrobatie, ont été plus variés dans leurs évolutions et plus éblouissants. Tout ce qu’il était possible de faire avec leur lourd biplan, Brévier et Villechanoux l’ont réalisé. Avec son petit monoplan en bois, Magnard a exécuté, lui aussi, toute la gamme des exercices classiques avec une belle élégance, sans, toutefois, se porter au niveau des deux as de la troupe.
Le meeting de Vincennes n’a pas permis de départager Doret, l’aîné, et Détroyat, le cadet. Aucun classement n’a été possible. Doret a sa technique et Détroyat la sienne. Cette différence de « style » est inhérente à la nature des avions généralement utilisés par ces pilotes.
Le monoplan métallique de Doret est plus lourd, plus puissant et plus nerveux que le monoplan de bois et de toile de Détroyat. Doret vole donc en puissance, avec nervosité, et ses vols sont riches de contrastes. Les exhibitions de Détroyat sont, au contraire, tout en finesse, souples, très recherchées, appliquées, comme modelées.
Quand on dit que Doret est un « fonceur », le terme n’est pas péjoratif. Car c’est l’enthousiasme et la frénésie qui l’emportent. Sa joie de vivre dans l’air, de bondir dans le ciel, de piquer vers le sol, de raser la terre, de monter en chandelle, éclate aux yeux. Maître de lui à l’extrême, autant que de sa machine fidèle, évaluant les distances avec une rare précision, Doret est un remarquable virtuose de l’accélération. Il est prompt, et ses décisions sont instantanées. Cependant, chaque reprise de moteur est faite avec mesure, le son grave du moteur passe à l’aigu suivant une progression régulière.
Doret a compris ce qui plaisait le mieux au public. Son plan de tactique est réfléchi. Il a atteint ainsi le but qu’il s’était désigné pour sa profession de pilote de meeting.
A Vincennes, Doret a réalisé, avec un nouvel appareil, tout blanc celui-là et non pas aux ailes rayées de rouge, des montées à la verticale impressionnantes, de plus de 900 mètres de hauteur. Un pareil exploit, qui a été répété à plusieurs reprises, consacre, à lui seul, la valeur de ce champion.
Lorsqu’en l’air, il arrête son moteur et met l’hélice en croix, Doret demeure égal à lui-même. Le lundi de la Pentecôte, après être grimpé à une altitude élevée, il coupa le contact et atterrit au polygone sans se hâter, en exécutant les prouesses qu’il réussit avec moteur.
Michel Détroyat est moins fougueux que son rival direct. Pourtant, il est parfois aussi téméraire ; son audace est commune aux pilotes de son âge ; Détroyat n’a pas vingt-cinq ans. Il défie le danger sans le percevoir, avec un étrange sang-froid. L’ancien sergent du 34e du Bourget vole en sportif et fait tout pour gagner des places ; il fait tout pour se hisser au premier rang et devenir le roi de l’acrobatie, à la place de l’infortuné Fronval, dont il a pris la succession comme chef-pilote chez Morane.
Détroyat est un pilote de grande classe. Sa douceur de main est citée en exemple. Il a le sens du mouvement, de l’ondulation ? C’est un dilettante, nous pourrions dire un artiste, tant il cherche à donner du caractère à ses œuvres. Parfois, il s’enflamme et ose l’impossible. C’est ainsi qu’on a pu le voir s’en donner à cœur joie avec un monoplan mû par moteur de forte puissance et pourvu d’un turbocompresseur. La foule n’a peut-être pas saisi l’audace de Détroyat, mais des pilotes présents ont frémi en pensant à l’incendie. Détroyat a trouvé cela très naturel.
Pour juger Détroyat, il faut le suivre quand il évolue avec l’ancien monoplan bleu et orange de Fronval. Avec cet avion, Détroyat vole sur le dos à la perfection et exécute, notamment, des demi-tonneaux et des tonneaux complets avec douceur. Détroyat ne se contente pas de voler sur le dos à plat ; il vire à gauche et à droite, sans jamais être en perte de vitesse. Parfois, pour se trouver sur le dos, au lieu d’effectuer un demi-tonneau, il entame un looping et, lorsqu’il atteint le sommet de la boucle, il se met en vol horizontal : la ligne droite suit l’arc de cercle. Il avance ainsi plusieurs centaines de mètres, puis pique du nez comme pour achever le looping interrompu.
Détroyat déclare que, lors de ses premiers essais de vol sur le dos, il a peu goûté cette situation extraordinaire. Maintenant, cette haute école le divertit au point qu’il s’applique pour se surpasser. Etant sur le dos, le contrôle de la position est nul au jugé ; Détroyat a les yeux fixés sur le contrôleur mécanique de vil ; il ne peut se rendre compte s’il se trouve en piqué ou en montée.
Un jour prochain, un match Doret-Détroyat sera possible ; l’un et l’autre disposeront, dans quelques mois, d’un avion de caractéristiques semblables. Nous assisterons alors à une lutte serrée. Doret et Détroyat se faisant fort d’exécuter les mêmes acrobaties et même d’imiter l’Allemand Fieseler dans ses loopings en piqué et non plus en montée, comme on les fait communément.
Mais, à ce moment-là, Doret et Détroyat auront probablement des adversaires plus dangereux qu’à l’heure actuelle. Car Pollon réalise, avec un Jockey-S.E.C.M. des progrès étonnants, et Brévier compte avoir un Nieuport plus léger et plus maniable, plus acrobatique donc, que celui dont il se sert.
Voilà qui nous promet de belles heures d’acrobatie aérienne.
R. PEYRONNET DE TORRES
Source : Sébastien Détroyat Transcription : Sophie Détroyat