Doret et Détroyat, les deux as de la Haute Ecole Aérienne en France

Dans tous les meetings d’aviation, que ce soit à Paris ou en province, en France ou à l’étranger, les pilotes d’acrobatie remportent, auprès du public, un succès qui est parfois considérable, et attirent sur eux l’attention de tous les collègues aviateurs. Car la haute école aérienne est restée captivante pour ses adeptes, fertile en émotions pour les spectateurs ; elle révèle des talents nouveaux et ses possibilités demeurent illimitées.

Les pilotes civils monopolisent les épreuves d’acrobatie, les militaires étant attachés à leur régiment respectif.
A Vincennes, Doret, Détroyat, Brévier, Villechanoux et Magnard ont rivalisé d’audace et d’habileté. Mais Doret et Détroyat, disposant d’un matériel d’acrobatie, ont été plus variés dans leurs évolutions et plus éblouissants. Tout ce qu’il était possible de faire avec leur lourd biplan, Brévier et Villechanoux l’ont réalisé. Avec son petit monoplan en bois, Magnard a exécuté, lui aussi, toute la gamme des exercices classiques avec une belle élégance, sans, toutefois, se porter au niveau des deux as de la troupe.
Le meeting de Vincennes n’a pas permis de départager Doret, l’aîné, et Détroyat, le cadet. Aucun classement n’a été possible. Doret a sa technique et Détroyat la sienne. Cette différence de « style » est inhérente à la nature des avions généralement utilisés par ces pilotes.
Le monoplan métallique de Doret est plus lourd, plus puissant et plus nerveux que le monoplan de bois et de toile de Détroyat. Doret vole donc en puissance, avec nervosité, et ses vols sont riches de contrastes. Les exhibitions de Détroyat sont, au contraire, tout en finesse, souples, très recherchées, appliquées, comme modelées.
Quand on dit que Doret est un « fonceur », le terme n’est pas péjoratif. Car c’est l’enthousiasme et la frénésie qui l’emportent. Sa joie de vivre dans l’air, de bondir dans le ciel, de piquer vers le sol, de raser la terre, de monter en chandelle, éclate aux yeux. Maître de lui à l’extrême, autant que de sa machine fidèle, évaluant les distances avec une rare précision, Doret est un remarquable virtuose de l’accélération. Il est prompt, et ses décisions sont instantanées. Cependant, chaque reprise de moteur est faite avec mesure, le son grave du moteur passe à l’aigu suivant une progression régulière.
Doret a compris ce qui plaisait le mieux au public. Son plan de tactique est réfléchi. Il a atteint ainsi le but qu’il s’était désigné pour sa profession de pilote de meeting.
A Vincennes, Doret a réalisé, avec un nouvel appareil, tout blanc celui-là et non pas aux ailes rayées de rouge, des montées à la verticale impressionnantes, de plus de 900 mètres de hauteur. Un pareil exploit, qui a été répété à plusieurs reprises, consacre, à lui seul, la valeur de ce champion.
Lorsqu’en l’air, il arrête son moteur et met l’hélice en croix, Doret demeure égal à lui-même. Le lundi de la Pentecôte, après être grimpé à une altitude élevée, il coupa le contact et atterrit au polygone sans se hâter, en exécutant les prouesses qu’il réussit avec moteur.
Michel Détroyat est moins fougueux que son rival direct.  Pourtant, il est parfois aussi téméraire ; son audace est commune aux pilotes de son âge ; Détroyat n’a pas vingt-cinq ans. Il défie le danger sans le percevoir, avec un étrange sang-froid. L’ancien sergent du 34e du Bourget vole en sportif et fait tout pour  gagner  des places ; il fait tout pour se hisser au premier rang et devenir le roi de l’acrobatie, à la place de l’infortuné Fronval, dont il a pris la succession comme chef-pilote chez Morane.
Détroyat est un pilote de grande classe. Sa douceur de main est citée en exemple. Il a le sens du mouvement, de l’ondulation ? C’est un dilettante, nous pourrions dire un artiste, tant il cherche à donner du caractère à ses œuvres. Parfois, il s’enflamme et ose l’impossible. C’est ainsi qu’on a pu le voir s’en donner à cœur joie avec un monoplan mû par moteur de forte puissance et pourvu d’un turbocompresseur.  La foule n’a peut-être pas saisi l’audace de Détroyat, mais des pilotes présents ont frémi en pensant à l’incendie. Détroyat a trouvé cela très naturel.
Pour juger Détroyat, il faut le suivre quand il évolue avec l’ancien monoplan bleu et orange de Fronval. Avec cet avion, Détroyat vole sur le dos à la perfection et exécute, notamment, des demi-tonneaux et des tonneaux complets avec douceur. Détroyat ne se contente pas de voler sur le dos à plat ; il vire à gauche et à droite, sans jamais être en perte de vitesse. Parfois, pour se trouver sur le dos, au lieu d’effectuer un demi-tonneau, il entame un looping et, lorsqu’il atteint le sommet de la boucle, il se met en vol horizontal : la ligne droite suit l’arc de cercle. Il avance ainsi plusieurs centaines de mètres, puis pique du nez comme pour achever le  looping  interrompu.
Détroyat déclare que, lors de ses premiers essais de vol sur le dos, il a peu goûté cette situation extraordinaire. Maintenant, cette haute école le divertit au point qu’il s’applique pour se surpasser. Etant sur le dos, le contrôle de la position est nul au jugé ; Détroyat a les yeux fixés sur le contrôleur mécanique de vil ; il ne peut se rendre compte s’il se trouve en piqué ou en montée.
Un jour prochain, un match Doret-Détroyat sera possible ; l’un et l’autre disposeront, dans quelques mois, d’un avion de caractéristiques semblables. Nous assisterons alors à une lutte serrée. Doret et Détroyat se faisant fort d’exécuter les mêmes acrobaties et même d’imiter l’Allemand Fieseler dans ses loopings en piqué et non plus en montée, comme on les fait communément.
Mais, à ce moment-là, Doret et Détroyat auront probablement des adversaires plus dangereux qu’à l’heure actuelle. Car Pollon réalise, avec un Jockey-S.E.C.M. des progrès étonnants, et Brévier compte avoir un Nieuport plus léger et plus maniable, plus acrobatique donc, que celui dont il se sert.
Voilà qui nous promet de belles heures d’acrobatie aérienne.

R. PEYRONNET DE TORRES


Source : Sébastien Détroyat   Transcription : Sophie Détroyat

Meeting de Paris à Saint-Germain


A la fin du meeting de Paris, organisé à Saint-Germain avec le concours du Petit Parisien,  il aurait été délicat d’établir un classement des grands virtuoses de la haute école aérienne que l’on avait vus évoluer l’après-midi devant une foule considérable.
Trois pilotes utilisant des avions de petite puissance : l’anglais Clarkson, le danois Hansen et l’allemande Liesel Bach, n’auraient pu prétendre être comptés comme des concurrents directs de l’allemand Fieseler et des français Détroyat et Doret. Pourtant, Clarkson, aussi bien que Hansen ont mis en lumière de la façon la plus éclatante, une rare maîtrise en pilotant chacun deux avions différents, mais également de petite puissance. Les évolutions de Clarkson et de Hansen sont riches en nuances, mais pas assez vigoureuses ; ces exercices sont, à proprement parler, des acrobaties, alors que ceux de Fieseler, de Détroyat et de Doret appartiennent au programme de la haute école aérienne.
Doret est handicapé par son avion ; cet appareil, qui est un avion de chasse de 1 300 kilogrammes, est très maniable, mais il ne permet pas d’effectuer des manœuvres permises seulement avec une machine construite spécialement à cet effet. Il n’en reste pas moins vrai que Doret a été très brillant ; ses chandelles terminées par un tonneau et ses vrilles sont d’une précision rare.
Pour départager Fieseler et Détroyat, il faudrait que ces deux pilotes échangent leurs appareils, car il est nécessaire de savoir si, avec le même avion, l’allemand et le français sont à placer sur le même plan.
Fieseler, qui fut pendant la guerre l’as de l’aviation allemande d’Orient, a une douceur de main identique à celle de Détroyat. Sur biplan de 400 CV et de 700 kilogrammes, il vole sur le dos, monte en chandelle à la verticale, pique sur le dos, et boucle la boucle aussi bien à l’envers qu’à l’endroit. De plus, Fieseler a une audace stupéfiante près du sol.
Les tonneaux au ralenti de Détroyat, arrondis à souhait, ont été les seuls points faibles de la technique de notre compatriote. D’ordinaire, Détroyat maintient parfaitement son avion dans son axe en faisant trois, quatre et même cinq tonneaux au ralenti.
Détroyat a ébloui les connaisseurs avec ses loopings inversé, sa vrille sur le dos et des « vols en tranche », en n’ayant à sa disposition que 300 CV tout au plus.
Un match Fieseler-Détroyat ne s’est jamais autant imposé que cette année.
R. P. de T.


Source : Sébastien Détroyat   Transcription : Sophie Détroyat


Haute Ecole d'Aviation

De tout temps, les aviateurs ont eu fâcheuse réputation ! On a pris l’habitude de les considérer un peu comme des fous et des inconscients. Une telle renommée s’attache surtout aux pilotes qui font profession de participer à des meetings et dont le but semble, pour certains profanes, d’émouvoir ou d’ «épater» les «populations» par des acrobaties aussi dangereuses qu’inutiles.
Il est assez étrange qu’une telle impression d’inutilité se soit ainsi attachée à la voltige aérienne, alors que les spectateurs les moins avertis, à qui il est  donné d’assister à une reprise de manège au Concours Hippique par le « Cadre Noir » de Saumur sentent d’instinct, pourrait-on dire, toute la nécessité de cette Haute Ecole, amenée depuis tant de générations d’hommes de cheval à une maîtrise voisine de la perfection.

Mais avant de devenir écuyer, il faut assurément apprendre de façon élémentaire à monter à cheval et à s’y tenir convenablement. De même, après qu’auront été acquis les premiers rudiments du vol, l’acrobatie aérienne fera apparaître son évidente utilité pour le perfectionnement des pilotes de toutes catégories. C’est de cette mise en confiance que viendra pour l’élève, amené dans une position imprévue, la maîtrise nécessaire pour rétablir, par des manœuvres judicieuses, son avion dans une situation normale de vol.
En ce qui concerne l’éducation des pilotes militaires, le cours d’école d’acrobatie est rendu obligatoire.
Si le pilote doit être chargé par la suite de missions d’observation, les principes d’acrobatie qui lui seront inculqués lui permettront de rétablir son appareil en vol normal lorsque de mauvaises conditions atmosphériques l’auront entrainé dans des positions critiques, et surtout, pour le pilote destiné à un régiment de chasse, un tel perfectionnement d’acrobatie prendra une importance considérable du fait que le principal travail en escadrille consistera pour lui en des exercices de combat sur monoplace ; ce type d’appareil exige, on le sait, une extrême maniabilité, tant pour la défensive que pour l’attaque des avions ennemis. La précision du tir doit d’ailleurs être la qualité primordiale d’un pilote de chasse ; or, ce dernier n’effectue pas ses visées avec une arme mobile, mais avec l’ensemble de l’avion lui-même, ce qui l’oblige à une action extrêmement exacte sur ses commandes de direction.

Si les manœuvres acrobatiques servent à l’enseignement du pilotage et affirment la finesse de l’aviateur, elles ont également leur précieuse utilité lors des essais d’avions nouveaux.
C’est dans cette mission de contrôle que le pilote d’essais joue chaque jour un rôle obscur qui n’est pas sans danger. Le profane, qui a l’occasion d’assister à un de ces vols d’essai au cours duquel seront exécutés les mouvements les plus inattendus, sera porté à une injuste critique qu’il ne formulerait assurément pas s’il pouvait apprécier qu’il s’agit là d’exercices commandés, exécutés avec beaucoup de méthode et de précision, d’après une progression aussi prudente qu’étudiée.
De tels vols d’épreuve doivent permettre aux Ingénieurs du contrôle d’établir la résistance de chaque commande, la façon dont l’appareil se comporte « en piqué », ses « ressources », la facilité de conduite, en un mot, la maniabilité générale de l’avion.
Je ne sais si c’est l’atavisme qui me fait ressentir de façon plus particulière les nombreux points de rapprochement existant entre la Haute Ecole hippique et l’acrobatie aérienne.
Il n’est certes pas besoin de longue réflexion pour apprécier le profit que tire l’art équestre d’une meilleure connaissance des moyens d’action sur « la plus noble conquête de l’homme ». Et quand, dans la 3Carrière » de Saumur un écuyer, par des déplacements de mains à peine perceptibles ou par une opportune pression des jambes, sollicite de sa monture l’exécution d’une « cabriole » ou d’un « pas espagnol », n’est-on pas tenté de le comparer à ce pilote qui fait corps avec son avion, obtenant de celui-ci, par une combinaison habile du moteur et des gouvernes, toutes les acrobaties élégantes ou impressionnantes, au gré de sa fantaisie. C’est en connaissant mieux la valeur de ses « aides » que l’écuyer s’affine. C’est en essayant de « sentir » d’une façon plus précise son appareil que pilote se perfectionne.
Dans le domaine de la Haute Ecole aérienne proprement dite, on distingue deux écoles nettement différentes.
La première qui, d’une façon générale, s’exécute « en force », se rapporte aux exhibitions de monoplaces à moteurs puissants. Dans de telles présentations, les montées « en chandelle », les « piqués en plein gaz » impressionnent vivement le public par la rapidité de leur réalisation, autant que par le vacarme assourdissant qui l’accompagne. Ces exercices exigent du pilote un coup d’œil extrêmement précis, des décisions instantanées, beaucoup de mesure dans les reprises de moteur qui doivent être effectuées avec une savante progression. Ainsi qu’on l’écrivait récemment, le créateur de cette école et son représentant le plus distingué, Marcel  Doret, se présente comme « un remarquable virtuose de l’accélération ».
La seconde école est celle que représenta avec tant d’autorité le regretté Fronval dont je suis le fervent disciple.
Cette méthode est tout entière définie par le mot « souplesse », la souplesse des mouvements déterminant la douceur de conduite. Ici l’impression sur le public est moins forte : le travail lui-même paraît plus facile : l’avion semble évoluer sans effort. Le vol à l’envers en est le principe.

Ainsi donc, qu’elles s’exécutent au-dessus des terrains de travail, ou à l’occasion d’un meeting, les manœuvres d’acrobatie répondent à une nécessité certaine et déterminent un progrès constant dans l’art du pilotage.

Extrait d’un article de
Michel Détroyat
 

 Source : Sébastien Détroyat  Transcription : Sophie Détroyat

Préface de 'Aviation, école de l'homme'

« Voler » !... « la meilleure ou  la pire des choses », comme aurait dit Esope !
« Voler » !... ce cri, cette aspiration, cette fascination de la jeunesse qui vient !
Le directeur de cette Collection me demande une Préface à ce bel ouvrage qui, de la première à la dernière ligne, sait si bien retenir l’attention intéressée du lecteur.
Bien peu qualifié pour écrire, je l’ai peut-être été davantage pour « voler ». Et c’est pourquoi j’ai accepté, ne serait-ce que pour prouver, par ma petite expérience, que cette attirance –presque magnétique- qu’exerce l’aviation sur tant d’êtres de notre époque, n’a jamais déçu ceux qui se sont donnés à elle avec flamme.
Enfants, jeunes hommes et vous parents qui allez lire ces pages, vous comprendrez mieux cet idéal et vous concevrez davantage le désir de ceux qui brûlent d’embrasser la prodigieuse carrières des ailes.
« Voler », au sens actuel du mot, n’est-ce pas réaliser une synthèse dont aucune autre action humaine n’offre le parallèle exact ?
« Voler », n’est-ce pas ressentir des impressions imprévues et inoubliables, que quiconque ne peut imaginer s’il ne les a pas vécues ?
Un sport qui a pris, ces dernières années, un développement considérable est le ski, qui peut, semble-t-il, se comparer, par les joies qu’il procure, à l’aviation.
Sur deux lattes de bois fartées, le skieur s’élance sur le flanc d’une montagne, glissant à des vitesses vertigineuses, sur une poudre blanche, dans un décor de féérie.
Il est seul, il paraît être son maître, puisqu’il se dirige lui-même à travers deux dimensions ? Pourtant, il reste sur le sol… il doit éviter un arbre, se méfier d’un ravin, ne pas percuter contre cet autre skieur qui descend moins vite devant lui : en un mot, il n’est pas réellement son maître absolu. 
Dans son avion, au contraire, le pilote –comme le marin- est maître à bord après Dieu.
Et, comme l’écrit l’auteur : « Il s’affranchit un moment des banalités de la vie en empruntant ces routes invisibles que la nature semblait réserver aux seules créatures ailées… »
Il se sent presque grandiose, surnaturel…
La haute école aérienne représente,, à cause de cela, une des plus grandes et une des plus pénétrantes jouissances de l’aviation.
Cet enivrant plaisir que procure au pilote la liberté totale d’évolution dans les trois dimensions qui est son partage, bien des auteurs l’ont chanté. L’aviation ne se limite pas, toutefois, aux joies du vol. Fait nouveau dans la civilisation, d’une incalculable portée, elle a commencé déjà de marquer puissamment l’époque de son empreinte dans maints domaines. Car l’apport au patrimoine humain de l’engin qui vole s’avère multiple et fécond, et il importait d’en tenter la synthèse.
Cet essai n’avait pas été entrepris jusqu’ici, et ce nouveau volume de Présences comble une lacune. Pour cette tâche, il fallait un homme qui fût à même d’apporter un témoignage personnel et direct. Esprit éclectique, formé dès l’enfance à de strictes disciplines intellectuelles et physiques, Monsieur de Marolles est de ceux qui peuvent goûter avec la même intensité l’élégance d’une harmonieuse démonstration mathématique ou la joie d’un effort musculaire ardu, le charme d’une belle page littéraire ou le plaisir d’un vol audacieusement conduit.
Aussi, a-t-il su réunir dans ces pages une somme d’observations et de réflexions que seule une longue et diverse expérience personnelle des choses de l’air pouvait permettre de rassembler. Ce que, dans ses multiples domaines, l’aviation offre à l’humanité, l’auteur l’a vécu depuis bientôt un quart de siècle, en observateur à l’attention toujours en éveil, et prompte à dégager des faits leurs substance philosophique.
Aussi peut-il avec la même sincérité évocatrice entraîner le lecteur de l’aérodrome au bureau d’études ou de l’atelier au creux des nuages.
Toutes ces impressions, admirablement décrites dans ce livre, feront aimer, comme il se doit, cette magnifique carrière, pleine d’inconnu, de nouveauté et de ressources.
Bientôt, j’en suis certain, il y aura des familles d’aviateurs comme il y des familles de marins.
De père en fils, on se transmettra cette devise : « Voler ! »

- Michel DETROYAT -
Transcription : Sophie Détroyat

Les épreuves de vitesse en France en 1936

La 4e Coupe Deutsch de la Meurthe promettait beaucoup et elle a donné lieu, finalement, à une course assez décevante dans l’ensemble. Trois appareils seulement avaient été qualifiés. Ils composaient une même équipe avec Delmotte, Arnoux et Lacombe.
Delmotte a gagné en 1935 avec 443 km/h 965 de moyenne ; Arnoux a triomphé en 1934 avec 389 km/h et Lacombe est sorti victorieux de la compétition de 1936 avec 389 km/h462.
Les trois pilotes de l’équipe Caudron ont donc inscrit chacun leur nom au palmarès de la Coupe Deutsch de la Meurthe.
La mise au point des matériels avait offert certaines difficultés, surtout en raison des troubles que subit actuellement l’industrie française. Deux appareils de l’an dernier, deux Caudron C-400 –le troisième a été confié à Michel Détroyat- ont été transformés. Les ailes de 1935 ont été conservées et les fuselages ont été remplacés par es fuselages au profil plus fin, offrant moins de résistance à l’avancement.
Or, l’avion Caudron-C450, mené à la victoire, en 1934, par Arnoux, a de nouveau franchi en tête la ligne d’arrivée.
Il est curieux de constater que, en 1934, Arnoux a surclassé ses concurrents avec une vitesse de 389 kilomètres/heure, et que, deux ans plus tard, en 1936, Lacombe a réussi finalement la même moyenne, exactement 389 km/h462. Nous allons voir que la performance d’Yves Lacombe est supérieure à ce qu’elle paraît.
Au cours de la première manche de 1 000 kilomètres (10 tours de circuit triangulaire de 100 kilomètres, Etampes-Chartres-Boncé-Etampes), Delmotte s’est montré, à la fin de la matinée de dimanche, le plus rapide. A mi-course, Arnoux engagea un match avec lui. Cette lutte fratricide s’est terminée à l’avantage d’Arnoux : Delmotte a été contraint d’abandonner la ronde au cours du 7ème tour, à la suite de la rupture d’une pipe d’échappement (les gaz d’échappement du sixième cylindre avaient porté à une température très élevée l’huile contenue dans le réservoir). Tandis qu’Arnoux et Delmotte engageaient une vraie bataille pour prendre le commandement, Lacombe, avec une très grande régularité, se maintenait en troisième position, à la vitesse moyenne de 404 km/h 815.
Dès que Delmotte eut rejoint la  terre ferme, Arnoux, certain de terminer, réduisit les gaz et il se contenta de réaliser une vitesse moyenne de 414 km/h 543 sur les 1 000 kilomètres. 
A la vérité, cette première manche fut extrêmement intéressante, parce qu’illustrée par le vol rapide de Delmotte et l’acharnement d’Arnoux à ne pas vouloir se laisser distancer par celui qui, l’an dernier, avait été à l’honneur ; par ailleurs, nous avions beaucoup goûté l’esprit méthodique de Lacombe.

Lacombe a réalisé une performance supérieure à celle qu’Arnoux avait accomplie en s’appropriant, la semaine dernière, le record de vitesse sur 1 000 kilomètres des avions légers multiplace de 560 kilos ; Lacombe, en monoplace, 404 km/h 815 ; Arnoux, en biplace avec une passagère, 400 km/h 294.
Le classement de la première manche est établi ainsi :
  1. Arnoux 2 h 24’ 44’’ (moyenne 414 km/h 546, avion Caudron C.400- moteur Renault 350 CV à compresseur, hélice à pas variable, train d’atterrissage escamotable et dispositifs hypersustentateurs).
  2. Lacombe 2 h 28’ (moyenne 404 km/h 815, avion Caudron C.450, moteur Renault 350 CV à compresseur, hélice à pas variable et dispositifs hypersustentateurs).
L’abandon de Delmotte a été suivi de deux autres évènements, l’après-midi, pour la seconde manche de 1 000 kilomètres : l’hélice à pas variable de Lacombe n’a pas fonctionné normalement pour la mise en route et son pilote a perdu une dizaine de minutes. Quant à Arnoux, il a perdu trente-deux minutes par la mise hors d’usage du démarreur. Ces deux longs retards simultanés ont fait baisser considérablement les moyennes calculées officiellement par les chronométreurs, puisque les deux avions ont été considérés en course à partir du moment où le starter abaissa son drapeau.
Cette deuxième manche fut, à la vérité, dénuée d’intérêt pour les spectateurs, alors que, pour tous ceux qui se sont attachés à enregistrer une à une les performances des deux avions, le rendement a été extrêmement régulier, sans être évidemment éblouissant, puisque les moyennes sont nettement supérieures à celles de l’an dernier.
Avec son avion plus rapide que celui de Lacombe, Arnoux a volé une vitesse plus élevée que celle de Lacombe, mais qui n’excédait pas 1 ou 2 km/h par tour. Lacombe s’est maintenu à une vitesse toujours supérieure à 400 km/h et allant jusqu’à 411 km/h 898 pour le dixième tour de cette seconde manche. Arnoux n’est jamais non plus descendu au-dessous de 405 km/h. Il a frisé les 412 km/h : 411 km/h 898.  
Mais, si nous retenons la vitesse moyenne réelle de Lacombe et d’Arnoux, c’est—dire une vitesse de l’ordre de 407 km/h, nous constatons que, en 1936, la vitesse obtenue par les concurrents est inférieure de 23 km/h, à la vitesse de 1935. A quoi cela tient-il ? A une mise eau point de matériel et plus particulièrement des moteurs qui n’a pu être effectuée complètement au cours de ces derniers jours ni de ces dernières heures.
L’absence de concurrents incitera-t-elle l’Aéro-Club de France à ne pas mettre en compétition la Coupe Deutsch de la Meurthe en 1937 ? Ce serait une erreur, car il faut soutenir l’effort accompli qui a permis à Détroyat de remporter trois succès retentissants aux Etats-Unis, succès qui classe notre aviation de course au premier rang, malgré le pseudo échec de dimanche à Etampes.
R. PEYRONNET DE TORRES
Source : Sébastien Détroyat, Transcription : Sophie Détroyat

Détroyat bat chez eux les américains, trois fois de suite

As de la Haute école aérienne et pilote complet, Détroyat bat chez eux les américains, trois fois de suite, et démontre péremptoirement la valeur de l'aviation française de vitesse.
Michel Détroyat a été le grand triomphateur du meeting d’aviation de Los Angeles.  Après avoir terminé en vainqueur l’épreuve de qualification, il a remporté les deux courses principales, le Greve Trophy et le Thompson Trophy.
Ces trois victoires ont produit une très grosse impression en France. Elles étaient pourtant prévues, en raison de la haute maîtrise de Détroyat et des qualités élevées de l’avion mis à sa disposition.
La Coupe Deutsch de la Meurthe, réservée aux avions actionnés par un groupe motopropulseur de 8 litres de cylindrée, nous a permis d’enregistrer, en 1932, 1934 et 1935, des progrès considérables. Cette épreuve internationale de vitesse, disputée sur deux manches de  1 000 kilomètres chacune, a été gagnée, en 1933, par Détré, avec une moyenne de 322 km/h 800, en 1984, par Arnoux, avec 389 km/h et, en 1935, par Delmotte, avec 443 km/h 965.
La première année, Potez, Farman, Caudron-Renault et Régnier se sont intéressés à la Coupe  Deutsch de la Meurthe. La deuxième année, Farman ne s’est pas présenté. A la suite de sa défaite de 1934, Potez a abandonné la compétition et Régnier, classé deuxième en 1934, n’a pu qualifier l’appareil de Massotte ; si bien que Caudron-Renault n’a plus eu de concurrent. Cette saison encore, Caudron-Renault est seul entré en lice, comme l’on sait.
Dès 1934, en comparant les résultats obtenus à la Nouvelle-Orléans avec ceux de la Coupe Deutsch de la Meurthe, il a été très facile de démontrer la supériorité très nette de l’aviation de course française sur l’aviation de course américaine ? Le succès de Delmotte en 1935 -446 kilomètre-heure de moyenne sur la première manche de 1 000 kilomètres et 448 kilomètre-heure de moyenne sur les deux- a apporté une confirmation supplémentaire du rendement des petits avions à moteur de 8 litres.
Michel Détroyat, qui avait exécuté des vols acrobatiques à la Nouvelle-Orléans en 1934 et à Cleveland en 1935 –les National Air Racer sont organisées chaque année dans une ville différente- avait imaginé d’aller défendre sa chance à Los Angeles avec l’un des avions de la Coupe Deutsch de la Meurthe de 1935. Le constructeur déclara : « Je ne puis pas refuser un appareil à Détroyat. »
Et le ministre de l’Air, Monsieur Pierre Cot, accorda le concours effectif de son département.
Avant de partir pour les Etats-Unis, où il avait expédié son avion d’acrobatie Morane-Saulnier 230-4, Michel Détroyat effectua un vol à Etampes, avec l’n des trois, le Caudron C. 400 Renault 350 CV à compresseur à hélice à pas variable, à train d’atterrissage escamotable et à dispositifs hypersustentateurs, dont la vitesse maximum en pointe est comprise entre 480 et 485 kilomètre-heure.
Ce Caudron C. 400 a pris, l’an passé, la première place la Coupe Deutsch de la Meurthe, piloté par Delmotte, en réalisant, répétons-le, la vitesse moyenne de 443 km/h 965 sur les deux manches de 1 000 kilomètres, au-dessus d’un circuit triangulaire de 100 kilomètres.
Les Américains qui, comme les Anglais, ont le tort de ne pas suivre les évènements qui se déroulent à l’étranger, ne tenaient pas Détroyat pour un concurrent redoutable.
A l’entraînement, sur le circuit triangulaire de 24 km 135 de Los Angeles -15 milles- notre compatriote atteignit 458 kilomètre-heure. Doolittle lui-même, n’avait pu dépasser, en 1932, le 405 km/h 468.
Le surlendemain, le dimanche 6 septembre, Détroyat s’adjugea le Greve Trophy, en battant ses six adversaires et en portant le record de 345 kilomètre-heure à 397 kilomètre-heure, bien qu’il ait maintenu volontairement, sur la presque totalité des vingt tours du circuit dev8 kilomètres, le régime de son moteur à 2 800 tours-minute, soit à 300 tours-minute de son régime nominal.
Le lundi 7 septembre, Détroyat triompha dans le Thompson Trophy, contre des avions actionnés par des moteurs de toutes les cylindrées.
Avec son monoplan de 350 CV, Détroyat a conquis le Thompson Trophy en franchissant les quinze tours du circuit triangulaire de 16 kilomètres à 425 km/h 194, vitesse qui éclipse le record, 413 kilomètre-heure.
Il a surclassé ses huit rivaux, y compris Ortman, qui, aux commandes d’un avion de 860-1 000 CV, n’a pas dépassé 399 km/h 034.
Dans le Thompson Trophy, Détroyat n’a pas tourné non plus à « plein gaz ». Ayant survolé le premier circuit d à 484 kilomètre-heure et le deuxième à 450, Détroyat s’est contenté de dépasser sa vitesse du Greve Trophy.
La participation de Détroyat a été illustrée par trois envolés foudroyantes. Cette tactique était nécessaire parce que les départs étaient donnés en ligne et que l’avantage pris au début permet au pilote de manœuvrer à sa guise, de suivre absolument la ligne droite entre chaque pylône et de vire très serré.
Vous avez remarqué qu’aux 443 km/h 965 de la Coupe Deutsch de la Meurthe de 1935 –deux manches de  1 000 kilomètres- Détroyat oppose le 397 km/h 423 du Greve Trophy –vingt tours d’un circuit triangulaire de 8 kilomètres, 160 kilomètres- et les 425 km/h 144 du Thompson Trophy –quinze tours d’un circuit triangulaire de 16 kilomètres, 230 kilomètres.
Il fallait l’habileté, l’audace et la détermination de Détroyat pour s’engager dans de pareilles courses pour réaliser, avec un brio incomparable, des vitesses aussi élevées dans des conditions particulièrement difficiles.
Michel Détroyat est chef du service des essais et chef pilote de Breguet et chef pilote de Morane-Saulnier. Il n’a pas encore trente et un ans. Il est officier de la Légion d’Honneur.
Il est un pilote d’essais remarquable, un pilote de haute école de très grande classe et il vient de prouver qu’il est un pilote de course de tout premier plan. Dans Paris-Saigon, dont le départ sera donné le 25 octobre, il pilotera un bimoteur de transport. Nul ne peut douter qu’une fois encore, Détroyat donnera sa pleine mesure.
Il est vrai que Détroyat cultive une volonté de fer, et que son désir le plus tenace est de toujours se surpasser.
R. PEYRONNET DE TORRES

Source : Sébastien Détroyat, Transcription : Sophie Détroyat

Michel Détroyat, le champion de la Haute Ecole Aérienne

Parmi les grands spécialistes des exercices de haute école aérienne, Michel Détroyat, le fils du général, ancien inspecteur de la remonte, est non seulement l’un des plus brillants, mais aussi celui qui réalise de mois en mois de tels progrès qu’il est actuellement le virtuose le plus en vue.
Michel Détroyat est venu à l’aviation après avoir connu toutes les mésaventures dans un régiment de dragons ; il est possible que le cavalier Détroyat n’eût jamais abandonné le cheval si la vie de caserne ne lui avait réservé des surprises désagréables.  De la cavalerie, Détroyat passa dans l’aviation ; de Pontoise, il alla à Istres.
C’est peu après son affectation au 34e du Bourget que Détroyat se fit remarquer par son habileté de pilotage, habileté acquise à force de travail et mise en valeur à l’école d’Istres où il fut l’élève, notamment, de Reginensi.
A vingt-cinq ans, chef-pilote de Morane-Saulnier, vainqueur des Coupes Michelin 1920 et 1930, disputées sur le Tour de France, pilote d’essai remarquable, Détroyat est l’une des figures les plus originales de l’aviation française.
Il est hors de doute que Détroyat, qui se plaît à comparer l’avion au cheval, c’est-à-dire à voir une analogie entre la manière de monter un cheval et la façon de piloter un avion, possède des dons qu’il n’a eu qu’à développer pour atteindre le niveau auquel il s’est hissé.
Mais quel acharnement il a fallu à ce pilote pour avoir la main et le coup d’œil qui font de lui le maître du pilotage de l’avion de haute école !
Tous les jours, dans toutes les circonstances, à n’importe quelle heure de la journée, Détroyat ne laisse pas passer une occasion de s’entraîner. C’est ce qui a fait dire à M. Robert Morane : « Détroyat volerait sur le dos devant un troupeau de moutons. »
A la vérité, l’ancien sergent du 34e vole beaucoup plus pour lui-même, pour sa satisfaction personnelle, que pour exercer son métier ou pour intéresser ceux qui, de la terre, le regardent.
Le second jour du meeting de Vincennes, dans le courant de la matinée, Détroyat, conversant avec deux camarades, coupa court la conversation pour déclarer :
  • Je suis en grande forme aujourd’hui et je suis si heureux de l’être que je vais voler pour vous deux.
Cinq minutes plus tard, le monoplan gris décolla et, pendant vingt minutes, devant les banquettes inoccupées et les enceintes vides, Détroyat fit la plus belle démonstration d’acrobaties qu’il lui soit possible de faire.
Tout Détroyat est dans cette réflexion et dans ce vol. Il a l’enthousiasme que l’on a à vingt-cinq ans, lorsque, grâce à ses seuls mérites, l’on peut mener une vie large et heureuse.
Ardent et enthousiaste, travailleur et méthodique, débordant de vie, Michel Détroyat, qui a un esprit généreux et une âme sensible, est poussé en avant par une frénésie qui étonne souvent. Le désir de vouloir toujours mieux faire, d’atteindre la perfection, semble augmenter des facultés qui satisferaient, pourtant, plus d’un pilote d’avions d’acrobatie.
Cette ardeur ne lui est pas particulière ; les infortunés Villeehanoux et Lalouette possédaient le même potentiel nerveux. Sans ce ressort, cette fougue, qui croît de pair avec la sûreté de soi-même, et sans esprit sportif aussi, l’ancien pilote d’acrobatie, même stimulé par la présence des spectateurs, comme l’acteur sur la scène, ne parviendrait à exécuter des exercices audacieux, qui paraissent être un défi lancé aux lois aéronautiques.

Les risques, Détroyat ne les méprise pas ; il les connaît et les tient pour ce qu’ils sont, mais ils ne l’obsèdent pas : c’est une question de tempérament.
Toutefois, Détroyat confesse :
  • Il faut avoir mille heures de vol derrière soi et s’être tiré de positions périlleuses en ayant une sueur froide sur tout le corps, pour apprécier exactement e l’aviation et l’acrobatie. 
Audacieux, Détroyat l’est quand, par exemple, il vole sur le dos à 50 ou 60 mètres du sol, ou en « tranche » à 20 mètres. D’en bas, nous percevons tout le danger, mais Détroyat l’oublie parce qu’il est pris dans l’action et se grise lui-même de sa virtuosité.
Sans égal dans le vol sur le dos, dans les loopings, à l’envers, il l’est encore dans les concours de précision d’atterrissage.
Cette science-là est celle que remarque le grand public. Il en est une autre qui n’apparaît qu’aux connaisseurs : la douceur de main et de pied.
C’est, en effet, l’aisance, la souplesse,  l’élégance, le style très pur, le fondu de la technique de Détroyat qui sont les plus remarquables de ses qualités.
Dans les demi-tonneaux, les passages sur le dos au sommet d’un looping ou d’un renversement, l’enchaînement des mouvements, conséquence d’un contrôle absolu de l’avion de 230 CV, d’un coefficient de sécurité de 13,5 apparaît merveilleusement ; il est l’œuvre d’un sportif de talent, d’un esprit fin, d’un homme aux goûts délicats.
Les exhibitions de Détroyat enchantent l’œil curieux des beaux spectacles. Dépourvues de force brutale, de gestes saccadés et de vols au moteur à plein gaz, ces exhibitions transportent la haut école aérienne sur un plan vraiment artistique, car elles ne sont le résultat direct de l’alliance de la hardiesse et de l’avion : elles sont des manifestations d’une intelligence vive et nuancée.
Détroyat était à Tunis le 19 avril, après avoir passé à Cannes, 22 mars, et Saint-Germain, 5 avril, et avant d’aller à Constantine, 26 avril, Copenhague, 3 mai, Casablanca, 10 mai, Alger, 11 mai, Oran, 17 mai, Fez, 18 mai, Vincennes, 21 et 23 mai, Chartres 31 mai et Strasbourg dimanche dernier. L’as Colombo prêta son avion à Détroyat. A la suite de l’atterrissage, Colombo dit, devant Robert Bajac :
  • Détroyat, vous m’avez battu avec mon propre appareil.
Voilà le plus bel éloge que l’on puisse faire de Détroyat pour sa faculté d’adaptation et sa riche connaissance de la science du pilotage.
Pendant un an, Détroyat s’est préparé, seul et sans conseils, à ces exercices, dont il démontre le mécanisme et la manière à René Paulhan  et à ses coéquipiers de la patrouille tricolore : Deglise et Rouland. A l’occasion, le chef-pilote de Morane Saulnier tient le rôle de moniteur : cette année, il a appris à piloter à deux de ses camarades sans les laisser, même cinq minutes, à l’un de ses moniteurs de l’école de Vélizy, où pas un seul n’est lâché, qu’il le prenne, lui-même, auparavant, en double commande.
Absorbé par l’aviation, Michel Détroyat se délasse en montant à cheval et en jouant au polo. Plusieurs fois par semaine, vers 6 heures, on le voit arriver en en trombe à Bagatelle, en tenue de cavalier, casque sur la tête, et sauter sur l’un de ses deux chevaux amenés de Boulogne, où il habite au milieu de la verdure et à l’ombre des marronniers qui lui masquent le ciel, son domaine.
R. PEYRONNET DE TORRES
Source : Sébastien Détroyat, Transcription : Sophie Détroyat

Un chevalier de l'air : Détroyat

Au nom de Détroyat, j'évoque la silhouette d'un grand garçon, au geste nonchalant, avec quelque chose de haut un rite oriental dans l'expression.
Je vois aussi flambant l'espace un petit avion, livre d'asile qui pirouette, gesticule, ce retour, trace à travers les trois dimensions toutes les figures de la géométrie.
Cet acrobate de l'air n'est pas seulement un aviateur étonnant, un de ces hommes oiseaux qui font corps avec leur appareil.
C'est un artiste. Il arrive un moment où la science touche si près de la perfection que l'habileté professionnelle s'efface. En regardant d'effroyables dansés dans l'espace, la première réflexion n'est pas de dire : « quel pilote extraordinaire ! » Ou d'admirer son audace insouciante. On est ému comme par une belle musique, ou par une danseuse dont tous les gestes sont parfaitement calculés. C'est un spectacle incomparable.

Quand après une série de loopings, de vrilles, de tonneaux et de retournements un avion passe, titubant, en perte de vitesse, à quelques mètres des spectateurs avant de venir atterrir sur une roue, on sait quel en est le pilote. Et puis Détroyat a une spécialité : le vol sur le dos, exercice infiniment difficile qui soumet l'organisme à une terrible épreuve. Il lui a fallu des mois d'entraînement obstiné pour s'habituer à voler la tête en bas. 

Quelques mots sur sa carrière : Détroyat qui fut sergent au 34e d'aviation au Bourget a été formés par les colonels Pinsar et Weiss. Il a accompli, seul à bord, le raid Paris Alger et retour. Il a gagné la coupe Michelin 1929 et a triomphé dans de nombreux concours. Il a rencontré les deux « as » allemands Udet et Fieseler.
Détroyat est un chevalier de l'air -

Source : Sébastien Détroyat, Transcription : Romain Détroyat

Acrobaties aériennes

Dimanche dernier, à Saint-Germain-en-Laye, des milliers de spectateurs ont applaudi les acrobaties émouvantes de nos champions, mais aussi de pilotes étrangers. Notre collaborateur, Jean Mézerette a demandé au plus célèbre d’entre eux, Michel Détroyat, ses impressions sur l’acrobatie aérienne, ses possibilités et son utilité.
De tout temps, les aviateurs ont eu  une fâcheuse réputation ! On a pris l’habitude de les considérer  un peu comme des fous et des inconscients. Une telle renommée s’attache surtout aux pilotes qui  font profession de participer à des meetings dont le but semble, pour certains profanes, d’émouvoir ou d’ « épater  les populations »  par des acrobaties  aussi dangereuses qu’inutiles.
Il est assez étrange qu’une telle impression d’inutilité se soit ainsi attachée à la voltige aérienne, alors que les spectateurs les moins avertis, à qui il est donné d’assister à une reprise de manège du Concours Hippique par le « Cadre Noir » de Saumur sentent d’instinct, pourrait-on dire, toute la nécessité de cette haute école, amenée, depuis tant de générations d’hommes de cheval, à une maîtrise voisine de la perfection.
Mais, avant de devenir écuyer, il faut assurément apprendre la façon élémentaire de monter à cheval et de s’y tenir convenablement. De même, après qu’auront été acquis les premiers rudiments du vol, l’acrobatie aérienne fera apparaître son évidente utilité pour le perfectionnement des pilotes de toutes catégories. C’est de cette mise en confiance que viendra, pour l’élève, amené dans une position imprévue, la maîtrise nécessaire pour rétablir, par des manœuvres judicieuses, son avion dans une situation normale de vol.
En ce qui concerne l’éducation des pilotes militaires, le cours d’école d’acrobatie est rendu obligatoire. Si le pilote doit être chargé, par la suite, de missions d’observation,  les principes d’acrobatie qui lui seront inculqués lui permettront de rétablir son appareil envol normal lorsque de mauvaises conditions atmosphériques l’auront entraîné dans des positions critiques, et surtout pour le pilote destiné à un régiment de chasse, un tel perfectionnement d’acrobatie prendra une importance considérable du fait que le principal travail en escadrille consistera pour lui en des exercices de combat sur monoplace ; ce type d’appareil exige, on le sait, une extrême maniabilité, tant pour la défensive que pour l’attaque des avions ennemis. La précision du tir doit, d’ailleurs être la qualité primordiale d’un pilote de chasse ; or, ce dernier n’effectue pas ses visées avec une arme mobile, mais avec l’ensemble de l’avion lui-même, ce qui l’oblige à une action extrêmement exacte sur ses commandes de direction.

Si les manœuvres d’acrobatie servent à l’enseignement du pilotage et affirment la finesse de l’aviateur, elles ont également leur précieuse utilité lors des essais d’avions nouveaux. 
C’est dans cette mission de contrôle que le pilote d’essais joue chaque jour un rôle obscur qui n’est pas sans danger. Le profane qui a l’occasion d’assister à l’un de ces vols d’essai au cours duquel seront exécutés les mouvements les plus inattendus, sera porté à une injuste critique qu’il ne formulerait assurément pas s’il pouvait apprécier qu’il s’agit là d’exercices commandés, exécutés avec beaucoup de méthode et de précision d’après ne progression aussi prudente qu’étudiées.
De tels vols d’épreuve doivent permettre aux ingénieurs du contrôle d’établir la résistance de chaque commande, la façon dont l’appareil se comporte en piqué, ses ressources, la facilité de conduite, en un mot la maniabilité générale de l’avion.

Je ne sais si c’est l’atavisme qui me fait ressentir de façon plus particulière les nombreux points de rapprochement existant entre la haute école hippique et l’acrobatie aérienne.
Il n’est certes pas besoin de longue réflexion pour apprécier le profit que tire l’art équestre d’une meilleure connaissance des moyens d’action sur « la plus noble conquête de l’homme ». Et quand, dans la « carrière » de Saumur, un écuyer, par des déplacements de mains à peine perceptibles ou par une opportune pression des jambes, sollicite de sa monture l’exécution d’une « cabriole » ou d’un « pas espagnol », n’est-on pas tenté de le comparer à ce pilote qui fait corps avec son avion obtenant de celui-ci, par une combinaison habile du moteur et des gouvernes toutes las acrobaties élégantes ou impressionnantes au gré de sa fantaisie ? C’est en connaissant mieux la valeur de ses « aides » que l’écuyer s’affine. C’est en essayant de « sentir » d’une façon plus précise son appareil que le pilote se perfectionne.
Dans le domaine de la haute école proprement dite, on distingue deux écoles nettement différentes. 
La première, qui, d’une façon générale, s’exécute en force, se rapporte aux exhibitions de monoplaces à moteurs puissants. Dans de telles présentations,  les montées « en chandelle », les « piqués à plein gaz » impressionnent vivement le public par la rapidité de leur réalisation autant que par le vacarme assourdissant qui l’accompagne. Ces exercices exigent du pilote un coup d’œil extrêmement précis, des décisions instantanées, beaucoup de mesure dans les reprises du moteur qui doivent être effectuées avec une savante progression. Ainsi qu’on l’écrivait récemment, le créateur de cette école et son représentant le plus distingué, Marcel Doret, se présente comme un « remarquable virtuose de l’accélération ». 
La seconde école est celle que représenta, avant tout, d’autorité, le regretté Fronval, dont je suis le fervent disciple. Cette méthode est tout entière définie par le mot souplesse, la souplesse des mouvements déterminant la douceur de la conduite. Ici, l’impression sur le public est moins forte ; le travail lui-même paraît plus facile, l’avion semble évoluer sans effort : le vol à l’envers en est le principe.
Ainsi donc, qu’elles s’exécutent au-dessus des terrains de travail ou à l’occasion d’un meeting, les manœuvres d’acrobatie répondent à une nécessité certaine déterminant un progrès constant dans l’art du pilotage.
Michel Détroyat
Source : Sébastien Détroyat, Transcription : Sophie Détroyat

Match Detroyat - Fieseler à Villacoublay - Miroir des Sports 1933


La haute école aérienne a pris tant d’importance dans l’aviation que le match qui opposera l’un à l’autre, dimanche prochain, l’allemand Gerhardt Fieseler au français Michel Détroyat, à l’aérodrome Morane-Saulnier de Villacoublay, sous le patronage du Petit Parisien, prend une place importante dans le calendrier aéronautique de 1933. 
Dans le championnat d’Europe, disputé à Lyon le 25 juin, sur l’initiative de l’Aéro-club du Rhône, Michel Détroyat fut éliminé par la détérioration du réservoir d’huile. En sortant d’un « piqué », Michel Détroyat eut soudain le visage recouvert d’huile et il put rejoindre le sol sans tarder. 
Dans ce championnat d’Europe, notre compatriote avait été extrêmement brillant, et c’est pourquoi l’on a songé à une rencontre, à Paris, entre les deux grands spécialistes européens, pour essayer de les départager et de désigner le meilleur, le champion. 
Le match Fieseler-Détroyat se déroulera en deux manches ; la première comportera deux vols et la seconde, trois vols. Il faut noter que la seconde manche présente une particularité : les deux compétiteurs échangeront leur appareil pour que le jury international, chargé d’accorder les points, puisse se rendre compte exactement de la valeur des pilotes. La construction des avions est si différente, qu’il y a des appareils qui peuvent accomplir toutes les acrobaties, alors que d’autres ne peuvent en réaliser qu’un certain nombre. 
Avec le système imposé cette fois, les spectateurs, et surtout les initiés, verront au grand jour les qualités propres des deux pilotes.  
Gerhardt Fieseler est un « ancien » ;  Michel Détroyat est un « jeune ». 
Fieseler a été, pendant la guerre, l’as de l’aviation de chasse ennemie sur le front d’Orient ; Détroyat, qui n’a pas vingt-sept ans, engagé dans la cavalerie, est un ancien élève pilote de l’Ecole Militaire d’Istres. 
Fieseler est constructeur et pilote d’acrobatie ; Détroyat est pilote d’essais et pilote d’acrobatie. 
Les parisiens ont remarqué, au dernier meeting de Saint Germain, que l’allemand Gerhardt Fieseler a un brio éblouissant, une maîtrise qui s’exprime par une suite d’acrobaties extrêmement liées et une audace qui déconcerte. 
A travers l’Europe, Fieseler s’est acquis une réputation qui n’a pas diminué avec les années. En 1933, cet ancien pilote de guerre compte parmi les tout premiers acrobates aériens et c’est encore à lui qu’il faut s’attaquer avant de revendiquer le titre de champion d’Europe. 
Il est hors de doute qu’il faut avoir un sens particulier du pilotage pour pouvoir accomplir sans aucune hésitation la gamme des acrobaties modernes. 
Fieseler, à la carrure athlétique, est un grand sportif qui est resté jeune. Sous l’aspect ordinaire des hommes de sa race, se cache un esprit de détermination qui peut être comparé à celui que l’on remarque tant en Angleterre. Fieseler, excellent technicien de la construction, a conçu pour la haute école un biplan extrêmement léger, actionné par un moteur de 450 CV. Fieseler a tenu compte du rôle joué par l’excédent de puissance. Car il faut toujours avoir des « chevaux » en réserve, pour s’en servir dans des situations dont les conséquences pourraient être désastreuses.  
Michel Détroyat, fils du général Détroyat, qui est ancien écuyer en chef de l’école de Saumur et ancien inspecteur général des remontes,  est dominé par sa passion : il ne peut pas vivre sans voler ; il n’est heureux que quand il est en forme et il a constamment l’espoir de progresser. Détroyat avait des dons pour cette sorte de pilotage ; mais il est juste de dire que ce n’est qu’à force de travail et d’application qu’il est arrivé là où il est. 
Détroyat a le sens de l’harmonie, du mouvement ; sa douceur de main, à la fois naturelle et contrôlée, enchante : elle « module des accords » avec finesse et délicatesse. 
Fieseler paraît toujours calme et pondéré ; Détroyat, au potentiel nerveux élevé, est fougueux et intrépide. Mais l’un et l’autre prennent les risques de leur métier avec la même abnégation et la même sérénité.  


A la vérité, il est très difficile de départager Fieseler et Détroyat. Nous verrons ce que vaut exactement la seconde partie du match qui, notons-le encore, oblige les deux pilotes à un échange d’appareils. 
Il va de soi que quarante-huit heures avant le match de Villacoublay, Détroyat et Fieseler s’entraîneront, au cours de deux vols de quinze minutes chacun, avec les machines qu’ils auront à piloter, le français conduisant l’avion allemand et l’allemand, l’avion français. 
La première partie du match est composée de deux vols, l’un de huit minutes : vol d’acrobaties classiques imposées ; l’autre, de dix minutes : vol de haute école libre, au choix du concurrent.  
Pendant les huit minutes du premier vol, Fieseler et Détroyat auront à accomplir successivement : trois tours de vrille à droite ; trois tours de vrille à gauche ; loopings, renversements, tonneau rapide à droite, tonneau rapide à gauche,  retournement, tonneau au ralenti à droite, tonneau au ralenti à gauche et une figure dite d’Immelmann : un demi-looping et un demi-tonneau. 
Lorsque deux spécialistes de l’acrobatie aérienne disputent un match comportant une manche comme celle-là, le jury accorde des points pour chacune des figures, qui vont de pair : le programme est imposé. 
Mais le vol de haute école libre est laissé à l’initiative de Fieseler et de Détroyat, qui devront, une demi-heure avant le décollage, remettre au jury international la liste des exercices qu’ils ont choisis et qu’ils tiennent à effectuer. 
Dans cette seconde manche, les appréciations des juges ont un importance capitale, car il s’agit, cette fois, d’établir un classement après deux vols ne comportant pas les mêmes manœuvres. 
La seconde manche est divisée en trois vols : acrobaties classiques imposées (même programme que précédemment) ; vol de haute école libre (sept minutes) et un atterrissage, hélice calée, près d’un point déterminé. 
Ce sont dans les manches de vol de haute école libre que Fieseler et Détroyat donneront toute leur mesure. Il sera curieux de suivre leur évolution avec l’appareil de l’adversaire. Les vols sur le dos seront suivis, notamment, de vols en « tranches », de loopings à l’envers, de piqués sur le dos, de vrilles sur le dos, etc… 
On a comparé parfois cette haute école aérienne à la haute école équestre, pour bien indiquer que la haute école aérienne permet de mieux connaître les possibilités du pilotage et de confirmer que l’acrobatie aérienne, qui précède la haute école (acrobaties classiques imposées), doit être familière au confirmé comme le pilotage sans visibilité extérieure. 
Pour son compte, Détroyat s’est entraîné très sérieusement, allant jusqu’à s’astreindre à prendre du repos pour être dans la meilleure condition possible. Car, non seulement l’entraînement et le match sont très « rudes », mais Détroyat considère que sa rencontre avec Fieseler est le match de sa vie, suivant une expression chère aux boxeurs.  

R. PEYRONNET DE TORRES

Source : Sébastien Détroyat, Transcription : Sophie Détroyat