Encore une fois, Paris s’est précipité au meeting de Vincennes. Encore une fois, les tramways et les autobus, les taxis et les chemins de fer ont déversé sur le polygone une foule innombrable, une foule comme seule peut en produire une grand capitale moderne. Encore une fois, on s’est écrasé les pieds, on a mangé du jambon, du veau froid et des oeufs durs. On est resté sept heures durant le cou tendu, les yeux fixés sur l’insondable azur. Tout cela pour un meeting. Croyez-vous ! Si Vincennes n’était qu’un meeting, une fête, un spectacle, il y a longtemps qu’il aurait épuisé l’attention du public. A la cadence de 300.000 spectateurs par an, c’eut été vite terminé. Retourne-t-on deux fois à la même pièce, au même film ? Mais Vincennes est autre chose qu’un spectacle. C’est une revue, une exposition, un panorama de l’aviation française. Vincennes change de physionomie au fur et à mesure que s’accentue l’évolution de notre aéronautique.
Vincennes répond très exactement à sa nouvelle appellation : «les journées Nationales de l’Aviation». De là son attrait toujours renouvelé pour le public qui, s’il entend beaucoup parler des choses de l’air, n’a que très peu d’occasions d’être en contact direct avec elles.
Toute l’aviation française y est réunie. On a parlé d’un avion trimoteur géant qui pourrait emmener 40 passagers, le voilà qui vole, qui vous descend presque sur la tête. Le «?» de Costes et Bellonte, l’avion record du monde de distance ? Jetez les yeux vers cet oiseau rouge qui survole le terrain.
Les nouveaux appareils de transport et de tourisme, les avions de chasse et de bombardement qui font la force de notre armée aérienne : ils sont là, les appareils de toutes les formes, de toutes les grandeurs, engendrés par les cerveaux de nos ingénieurs.
Et ils sont là aussi les as, les pilotes, ceux qui se sont illustrés par des exploits et ceux qui n’ont donné encore que des promesses.
Rien, d’ailleurs, d’ennuyeux dans cette présentation. Il est des documentaires qui, tout en instruisant, passionnent plus que les histoires sorties de l’imagination des auteurs de scénario. Le meeting de Vincennes est un documentaire de ce genre.
Pour nous faire juger des qualités de vol de tel appareil, Doret, Detroyat, Lemoigne, Paulhan se sont livrés, chacun dans leur genre, à la gesticulation, à la danse la plus extraordinaire qui se puisse concevoir. Ah ! se jouer à travers des trois dimensions sans aucun souci de la gravité ! Oublier où se trouve la terre ! Piquer comme une fusée vers l’azur ; en redescendre ivre, titubant, en feuille morte ! On comprend la joie de ces ballerines aériennes ; leur mépris du risque ; leur dégoût d’une vie terrestre, vide et plate. A chacun son style : Detroyat, le virtuose du vol sur le dos, la danseuse légère, fantasque, toujours imprévue ; Doret, l’audace calculée, prudente, la fantaisie mathématique, le pilote qui compte ses pas avant de faire son saut périlleux ; Paulhan, toutes les aspirations d’une jeunesse fougueuse, qui se souvient d’une paternité encore rayonnante de gloire ; Lemoigne, dont le vol sur l’aile, irréel, semble une image de rêve, qui défie les lois de la pesanteur comme l’équilibriste sur une bouteille.
L’une des visions les plus émouvantes qui s’offrent au spectateur du meeting de Vincennes, c’est celle du défilé de l’aviation militaire. Rangées en formation de combat, conservant - par quel miracle d’habileté en dépit du vent qui les emporte à la dérive ?- une rigoureuse symétrie, les escadrilles apparaissent à l’horizon comme d’imperceptibles points noirs. A très haute altitude, elles approchent. Le bruit des moteurs, qui n’est d’abord qu’un murmure, s’amplifie comme des orgues puissantes. Et les avions passent. Quatre-cents avions passent, anonymes, lointains. Il y a dans cette simplicité, dans cette discipline une grandeur qui laisse un souvenir inoubliable. Sentiment qui n’est pas dû seulement à la beauté plastique qui se dégage de toutes les évolutions d’ensemble, qu’il s’agisse de danses rythmiques, de gymnastes ou d’un défilé de troupes, mais aussi du caractère moral de la manifestation ; car Vincennes est une revue d’honneur à laquelle les régiments de France délèguent l’élite de leurs hommes et de leur matériel. C’est là qu’on peut juger de l’entraînement de notre aviation militaire, puisque des simulacres de combats aériens font même partie du programme.
Naturellement, il s’agit de varier les genres. Un spectacle trop austère finirait par lasser l’attention d’une foule venue surtout pour se distraire, mais vite une triple descente en parachute : trois fleurs blanches s’épanouissent, trois corolles s’ouvrent.
Quant à la propagande aérienne - il faut bien en parler puisque enfin c’est la grande raison de l’organisation de l’Aéro-Club de France - elle s’avère, chaque année, plus fructueuse. Les démonstrations aéropostales, celles des avions commerciaux de toutes sortes qui atterrissent sur le polygone, apportant des lettres du Maroc et des fleurs de Belgique, ne manquent pas de toucher le public. Un jour ou l’autre, le spectateur de Vincennes se souviendra de ce qu’il a vu. Il enverra ses lettres par la voie des airs ou l’empruntera lui-même pour voyager. C’est le but même qu’il faut atteindre.