Parmi les grands spécialistes des exercices de haute école aérienne, Michel Détroyat, le fils du général, ancien inspecteur de la remonte, est non seulement l’un des plus brillants, mais aussi celui qui réalise de mois en mois de tels progrès qu’il est actuellement le virtuose le plus en vue.
Michel Détroyat est venu à l’aviation après avoir connu toutes les mésaventures dans un régiment de dragons ; il est possible que le cavalier Détroyat n’eût jamais abandonné le cheval si la vie de caserne ne lui avait réservé des surprises désagréables. De la cavalerie, Détroyat passa dans l’aviation ; de Pontoise, il alla à Istres.
C’est peu après son affectation au 34e du Bourget que Détroyat se fit remarquer par son habileté de pilotage, habileté acquise à force de travail et mise en valeur à l’école d’Istres où il fut l’élève, notamment, de Reginensi.
A vingt-cinq ans, chef-pilote de Morane-Saulnier, vainqueur des Coupes Michelin 1920 et 1930, disputées sur le Tour de France, pilote d’essai remarquable, Détroyat est l’une des figures les plus originales de l’aviation française.
Il est hors de doute que Détroyat, qui se plaît à comparer l’avion au cheval, c’est-à-dire à voir une analogie entre la manière de monter un cheval et la façon de piloter un avion, possède des dons qu’il n’a eu qu’à développer pour atteindre le niveau auquel il s’est hissé.
Mais quel acharnement il a fallu à ce pilote pour avoir la main et le coup d’œil qui font de lui le maître du pilotage de l’avion de haute école !
Tous les jours, dans toutes les circonstances, à n’importe quelle heure de la journée, Détroyat ne laisse pas passer une occasion de s’entraîner. C’est ce qui a fait dire à M. Robert Morane : « Détroyat volerait sur le dos devant un troupeau de moutons. »
A la vérité, l’ancien sergent du 34e vole beaucoup plus pour lui-même, pour sa satisfaction personnelle, que pour exercer son métier ou pour intéresser ceux qui, de la terre, le regardent.
Le second jour du meeting de Vincennes, dans le courant de la matinée, Détroyat, conversant avec deux camarades, coupa court la conversation pour déclarer :
- Je suis en grande forme aujourd’hui et je suis si heureux de l’être que je vais voler pour vous deux.
Cinq minutes plus tard, le monoplan gris décolla et, pendant vingt minutes, devant les banquettes inoccupées et les enceintes vides, Détroyat fit la plus belle démonstration d’acrobaties qu’il lui soit possible de faire.
Tout Détroyat est dans cette réflexion et dans ce vol. Il a l’enthousiasme que l’on a à vingt-cinq ans, lorsque, grâce à ses seuls mérites, l’on peut mener une vie large et heureuse.
Ardent et enthousiaste, travailleur et méthodique, débordant de vie, Michel Détroyat, qui a un esprit généreux et une âme sensible, est poussé en avant par une frénésie qui étonne souvent. Le désir de vouloir toujours mieux faire, d’atteindre la perfection, semble augmenter des facultés qui satisferaient, pourtant, plus d’un pilote d’avions d’acrobatie.
Cette ardeur ne lui est pas particulière ; les infortunés Villeehanoux et Lalouette possédaient le même potentiel nerveux. Sans ce ressort, cette fougue, qui croît de pair avec la sûreté de soi-même, et sans esprit sportif aussi, l’ancien pilote d’acrobatie, même stimulé par la présence des spectateurs, comme l’acteur sur la scène, ne parviendrait à exécuter des exercices audacieux, qui paraissent être un défi lancé aux lois aéronautiques.
Les risques, Détroyat ne les méprise pas ; il les connaît et les tient pour ce qu’ils sont, mais ils ne l’obsèdent pas : c’est une question de tempérament.
Toutefois, Détroyat confesse :
- Il faut avoir mille heures de vol derrière soi et s’être tiré de positions périlleuses en ayant une sueur froide sur tout le corps, pour apprécier exactement e l’aviation et l’acrobatie.
Audacieux, Détroyat l’est quand, par exemple, il vole sur le dos à 50 ou 60 mètres du sol, ou en « tranche » à 20 mètres. D’en bas, nous percevons tout le danger, mais Détroyat l’oublie parce qu’il est pris dans l’action et se grise lui-même de sa virtuosité.
Sans égal dans le vol sur le dos, dans les loopings, à l’envers, il l’est encore dans les concours de précision d’atterrissage.
Cette science-là est celle que remarque le grand public. Il en est une autre qui n’apparaît qu’aux connaisseurs : la douceur de main et de pied.
C’est, en effet, l’aisance, la souplesse, l’élégance, le style très pur, le fondu de la technique de Détroyat qui sont les plus remarquables de ses qualités.
Dans les demi-tonneaux, les passages sur le dos au sommet d’un looping ou d’un renversement, l’enchaînement des mouvements, conséquence d’un contrôle absolu de l’avion de 230 CV, d’un coefficient de sécurité de 13,5 apparaît merveilleusement ; il est l’œuvre d’un sportif de talent, d’un esprit fin, d’un homme aux goûts délicats.
Les exhibitions de Détroyat enchantent l’œil curieux des beaux spectacles. Dépourvues de force brutale, de gestes saccadés et de vols au moteur à plein gaz, ces exhibitions transportent la haut école aérienne sur un plan vraiment artistique, car elles ne sont le résultat direct de l’alliance de la hardiesse et de l’avion : elles sont des manifestations d’une intelligence vive et nuancée.
Détroyat était à Tunis le 19 avril, après avoir passé à Cannes, 22 mars, et Saint-Germain, 5 avril, et avant d’aller à Constantine, 26 avril, Copenhague, 3 mai, Casablanca, 10 mai, Alger, 11 mai, Oran, 17 mai, Fez, 18 mai, Vincennes, 21 et 23 mai, Chartres 31 mai et Strasbourg dimanche dernier. L’as Colombo prêta son avion à Détroyat. A la suite de l’atterrissage, Colombo dit, devant Robert Bajac :
- Détroyat, vous m’avez battu avec mon propre appareil.
Voilà le plus bel éloge que l’on puisse faire de Détroyat pour sa faculté d’adaptation et sa riche connaissance de la science du pilotage.
Pendant un an, Détroyat s’est préparé, seul et sans conseils, à ces exercices, dont il démontre le mécanisme et la manière à René Paulhan et à ses coéquipiers de la patrouille tricolore : Deglise et Rouland. A l’occasion, le chef-pilote de Morane Saulnier tient le rôle de moniteur : cette année, il a appris à piloter à deux de ses camarades sans les laisser, même cinq minutes, à l’un de ses moniteurs de l’école de Vélizy, où pas un seul n’est lâché, qu’il le prenne, lui-même, auparavant, en double commande.
Absorbé par l’aviation, Michel Détroyat se délasse en montant à cheval et en jouant au polo. Plusieurs fois par semaine, vers 6 heures, on le voit arriver en en trombe à Bagatelle, en tenue de cavalier, casque sur la tête, et sauter sur l’un de ses deux chevaux amenés de Boulogne, où il habite au milieu de la verdure et à l’ombre des marronniers qui lui masquent le ciel, son domaine.
R. PEYRONNET DE TORRES
Source : Sébastien Détroyat, Transcription : Sophie Détroyat