Match Detroyat - Fieseler à Villacoublay - Miroir des Sports 1933


La haute école aérienne a pris tant d’importance dans l’aviation que le match qui opposera l’un à l’autre, dimanche prochain, l’allemand Gerhardt Fieseler au français Michel Détroyat, à l’aérodrome Morane-Saulnier de Villacoublay, sous le patronage du Petit Parisien, prend une place importante dans le calendrier aéronautique de 1933. 
Dans le championnat d’Europe, disputé à Lyon le 25 juin, sur l’initiative de l’Aéro-club du Rhône, Michel Détroyat fut éliminé par la détérioration du réservoir d’huile. En sortant d’un « piqué », Michel Détroyat eut soudain le visage recouvert d’huile et il put rejoindre le sol sans tarder. 
Dans ce championnat d’Europe, notre compatriote avait été extrêmement brillant, et c’est pourquoi l’on a songé à une rencontre, à Paris, entre les deux grands spécialistes européens, pour essayer de les départager et de désigner le meilleur, le champion. 
Le match Fieseler-Détroyat se déroulera en deux manches ; la première comportera deux vols et la seconde, trois vols. Il faut noter que la seconde manche présente une particularité : les deux compétiteurs échangeront leur appareil pour que le jury international, chargé d’accorder les points, puisse se rendre compte exactement de la valeur des pilotes. La construction des avions est si différente, qu’il y a des appareils qui peuvent accomplir toutes les acrobaties, alors que d’autres ne peuvent en réaliser qu’un certain nombre. 
Avec le système imposé cette fois, les spectateurs, et surtout les initiés, verront au grand jour les qualités propres des deux pilotes.  
Gerhardt Fieseler est un « ancien » ;  Michel Détroyat est un « jeune ». 
Fieseler a été, pendant la guerre, l’as de l’aviation de chasse ennemie sur le front d’Orient ; Détroyat, qui n’a pas vingt-sept ans, engagé dans la cavalerie, est un ancien élève pilote de l’Ecole Militaire d’Istres. 
Fieseler est constructeur et pilote d’acrobatie ; Détroyat est pilote d’essais et pilote d’acrobatie. 
Les parisiens ont remarqué, au dernier meeting de Saint Germain, que l’allemand Gerhardt Fieseler a un brio éblouissant, une maîtrise qui s’exprime par une suite d’acrobaties extrêmement liées et une audace qui déconcerte. 
A travers l’Europe, Fieseler s’est acquis une réputation qui n’a pas diminué avec les années. En 1933, cet ancien pilote de guerre compte parmi les tout premiers acrobates aériens et c’est encore à lui qu’il faut s’attaquer avant de revendiquer le titre de champion d’Europe. 
Il est hors de doute qu’il faut avoir un sens particulier du pilotage pour pouvoir accomplir sans aucune hésitation la gamme des acrobaties modernes. 
Fieseler, à la carrure athlétique, est un grand sportif qui est resté jeune. Sous l’aspect ordinaire des hommes de sa race, se cache un esprit de détermination qui peut être comparé à celui que l’on remarque tant en Angleterre. Fieseler, excellent technicien de la construction, a conçu pour la haute école un biplan extrêmement léger, actionné par un moteur de 450 CV. Fieseler a tenu compte du rôle joué par l’excédent de puissance. Car il faut toujours avoir des « chevaux » en réserve, pour s’en servir dans des situations dont les conséquences pourraient être désastreuses.  
Michel Détroyat, fils du général Détroyat, qui est ancien écuyer en chef de l’école de Saumur et ancien inspecteur général des remontes,  est dominé par sa passion : il ne peut pas vivre sans voler ; il n’est heureux que quand il est en forme et il a constamment l’espoir de progresser. Détroyat avait des dons pour cette sorte de pilotage ; mais il est juste de dire que ce n’est qu’à force de travail et d’application qu’il est arrivé là où il est. 
Détroyat a le sens de l’harmonie, du mouvement ; sa douceur de main, à la fois naturelle et contrôlée, enchante : elle « module des accords » avec finesse et délicatesse. 
Fieseler paraît toujours calme et pondéré ; Détroyat, au potentiel nerveux élevé, est fougueux et intrépide. Mais l’un et l’autre prennent les risques de leur métier avec la même abnégation et la même sérénité.  


A la vérité, il est très difficile de départager Fieseler et Détroyat. Nous verrons ce que vaut exactement la seconde partie du match qui, notons-le encore, oblige les deux pilotes à un échange d’appareils. 
Il va de soi que quarante-huit heures avant le match de Villacoublay, Détroyat et Fieseler s’entraîneront, au cours de deux vols de quinze minutes chacun, avec les machines qu’ils auront à piloter, le français conduisant l’avion allemand et l’allemand, l’avion français. 
La première partie du match est composée de deux vols, l’un de huit minutes : vol d’acrobaties classiques imposées ; l’autre, de dix minutes : vol de haute école libre, au choix du concurrent.  
Pendant les huit minutes du premier vol, Fieseler et Détroyat auront à accomplir successivement : trois tours de vrille à droite ; trois tours de vrille à gauche ; loopings, renversements, tonneau rapide à droite, tonneau rapide à gauche,  retournement, tonneau au ralenti à droite, tonneau au ralenti à gauche et une figure dite d’Immelmann : un demi-looping et un demi-tonneau. 
Lorsque deux spécialistes de l’acrobatie aérienne disputent un match comportant une manche comme celle-là, le jury accorde des points pour chacune des figures, qui vont de pair : le programme est imposé. 
Mais le vol de haute école libre est laissé à l’initiative de Fieseler et de Détroyat, qui devront, une demi-heure avant le décollage, remettre au jury international la liste des exercices qu’ils ont choisis et qu’ils tiennent à effectuer. 
Dans cette seconde manche, les appréciations des juges ont un importance capitale, car il s’agit, cette fois, d’établir un classement après deux vols ne comportant pas les mêmes manœuvres. 
La seconde manche est divisée en trois vols : acrobaties classiques imposées (même programme que précédemment) ; vol de haute école libre (sept minutes) et un atterrissage, hélice calée, près d’un point déterminé. 
Ce sont dans les manches de vol de haute école libre que Fieseler et Détroyat donneront toute leur mesure. Il sera curieux de suivre leur évolution avec l’appareil de l’adversaire. Les vols sur le dos seront suivis, notamment, de vols en « tranches », de loopings à l’envers, de piqués sur le dos, de vrilles sur le dos, etc… 
On a comparé parfois cette haute école aérienne à la haute école équestre, pour bien indiquer que la haute école aérienne permet de mieux connaître les possibilités du pilotage et de confirmer que l’acrobatie aérienne, qui précède la haute école (acrobaties classiques imposées), doit être familière au confirmé comme le pilotage sans visibilité extérieure. 
Pour son compte, Détroyat s’est entraîné très sérieusement, allant jusqu’à s’astreindre à prendre du repos pour être dans la meilleure condition possible. Car, non seulement l’entraînement et le match sont très « rudes », mais Détroyat considère que sa rencontre avec Fieseler est le match de sa vie, suivant une expression chère aux boxeurs.  

R. PEYRONNET DE TORRES

Source : Sébastien Détroyat, Transcription : Sophie Détroyat