Haute Ecole d'Aviation

De tout temps, les aviateurs ont eu fâcheuse réputation ! On a pris l’habitude de les considérer un peu comme des fous et des inconscients. Une telle renommée s’attache surtout aux pilotes qui font profession de participer à des meetings et dont le but semble, pour certains profanes, d’émouvoir ou d’ «épater» les «populations» par des acrobaties aussi dangereuses qu’inutiles.
Il est assez étrange qu’une telle impression d’inutilité se soit ainsi attachée à la voltige aérienne, alors que les spectateurs les moins avertis, à qui il est  donné d’assister à une reprise de manège au Concours Hippique par le « Cadre Noir » de Saumur sentent d’instinct, pourrait-on dire, toute la nécessité de cette Haute Ecole, amenée depuis tant de générations d’hommes de cheval à une maîtrise voisine de la perfection.

Mais avant de devenir écuyer, il faut assurément apprendre de façon élémentaire à monter à cheval et à s’y tenir convenablement. De même, après qu’auront été acquis les premiers rudiments du vol, l’acrobatie aérienne fera apparaître son évidente utilité pour le perfectionnement des pilotes de toutes catégories. C’est de cette mise en confiance que viendra pour l’élève, amené dans une position imprévue, la maîtrise nécessaire pour rétablir, par des manœuvres judicieuses, son avion dans une situation normale de vol.
En ce qui concerne l’éducation des pilotes militaires, le cours d’école d’acrobatie est rendu obligatoire.
Si le pilote doit être chargé par la suite de missions d’observation, les principes d’acrobatie qui lui seront inculqués lui permettront de rétablir son appareil en vol normal lorsque de mauvaises conditions atmosphériques l’auront entrainé dans des positions critiques, et surtout, pour le pilote destiné à un régiment de chasse, un tel perfectionnement d’acrobatie prendra une importance considérable du fait que le principal travail en escadrille consistera pour lui en des exercices de combat sur monoplace ; ce type d’appareil exige, on le sait, une extrême maniabilité, tant pour la défensive que pour l’attaque des avions ennemis. La précision du tir doit d’ailleurs être la qualité primordiale d’un pilote de chasse ; or, ce dernier n’effectue pas ses visées avec une arme mobile, mais avec l’ensemble de l’avion lui-même, ce qui l’oblige à une action extrêmement exacte sur ses commandes de direction.

Si les manœuvres acrobatiques servent à l’enseignement du pilotage et affirment la finesse de l’aviateur, elles ont également leur précieuse utilité lors des essais d’avions nouveaux.
C’est dans cette mission de contrôle que le pilote d’essais joue chaque jour un rôle obscur qui n’est pas sans danger. Le profane, qui a l’occasion d’assister à un de ces vols d’essai au cours duquel seront exécutés les mouvements les plus inattendus, sera porté à une injuste critique qu’il ne formulerait assurément pas s’il pouvait apprécier qu’il s’agit là d’exercices commandés, exécutés avec beaucoup de méthode et de précision, d’après une progression aussi prudente qu’étudiée.
De tels vols d’épreuve doivent permettre aux Ingénieurs du contrôle d’établir la résistance de chaque commande, la façon dont l’appareil se comporte « en piqué », ses « ressources », la facilité de conduite, en un mot, la maniabilité générale de l’avion.
Je ne sais si c’est l’atavisme qui me fait ressentir de façon plus particulière les nombreux points de rapprochement existant entre la Haute Ecole hippique et l’acrobatie aérienne.
Il n’est certes pas besoin de longue réflexion pour apprécier le profit que tire l’art équestre d’une meilleure connaissance des moyens d’action sur « la plus noble conquête de l’homme ». Et quand, dans la 3Carrière » de Saumur un écuyer, par des déplacements de mains à peine perceptibles ou par une opportune pression des jambes, sollicite de sa monture l’exécution d’une « cabriole » ou d’un « pas espagnol », n’est-on pas tenté de le comparer à ce pilote qui fait corps avec son avion, obtenant de celui-ci, par une combinaison habile du moteur et des gouvernes, toutes les acrobaties élégantes ou impressionnantes, au gré de sa fantaisie. C’est en connaissant mieux la valeur de ses « aides » que l’écuyer s’affine. C’est en essayant de « sentir » d’une façon plus précise son appareil que pilote se perfectionne.
Dans le domaine de la Haute Ecole aérienne proprement dite, on distingue deux écoles nettement différentes.
La première qui, d’une façon générale, s’exécute « en force », se rapporte aux exhibitions de monoplaces à moteurs puissants. Dans de telles présentations, les montées « en chandelle », les « piqués en plein gaz » impressionnent vivement le public par la rapidité de leur réalisation, autant que par le vacarme assourdissant qui l’accompagne. Ces exercices exigent du pilote un coup d’œil extrêmement précis, des décisions instantanées, beaucoup de mesure dans les reprises de moteur qui doivent être effectuées avec une savante progression. Ainsi qu’on l’écrivait récemment, le créateur de cette école et son représentant le plus distingué, Marcel  Doret, se présente comme « un remarquable virtuose de l’accélération ».
La seconde école est celle que représenta avec tant d’autorité le regretté Fronval dont je suis le fervent disciple.
Cette méthode est tout entière définie par le mot « souplesse », la souplesse des mouvements déterminant la douceur de conduite. Ici l’impression sur le public est moins forte : le travail lui-même paraît plus facile : l’avion semble évoluer sans effort. Le vol à l’envers en est le principe.

Ainsi donc, qu’elles s’exécutent au-dessus des terrains de travail, ou à l’occasion d’un meeting, les manœuvres d’acrobatie répondent à une nécessité certaine et déterminent un progrès constant dans l’art du pilotage.

Extrait d’un article de
Michel Détroyat
 

 Source : Sébastien Détroyat  Transcription : Sophie Détroyat