Dimanche dernier, à Saint-Germain-en-Laye, des milliers de spectateurs ont applaudi les acrobaties émouvantes de nos champions, mais aussi de pilotes étrangers. Notre collaborateur, Jean Mézerette a demandé au plus célèbre d’entre eux, Michel Détroyat, ses impressions sur l’acrobatie aérienne, ses possibilités et son utilité.
De tout temps, les aviateurs ont eu une fâcheuse réputation ! On a pris l’habitude de les considérer un peu comme des fous et des inconscients. Une telle renommée s’attache surtout aux pilotes qui font profession de participer à des meetings dont le but semble, pour certains profanes, d’émouvoir ou d’ « épater les populations » par des acrobaties aussi dangereuses qu’inutiles.
Il est assez étrange qu’une telle impression d’inutilité se soit ainsi attachée à la voltige aérienne, alors que les spectateurs les moins avertis, à qui il est donné d’assister à une reprise de manège du Concours Hippique par le « Cadre Noir » de Saumur sentent d’instinct, pourrait-on dire, toute la nécessité de cette haute école, amenée, depuis tant de générations d’hommes de cheval, à une maîtrise voisine de la perfection.
Mais, avant de devenir écuyer, il faut assurément apprendre la façon élémentaire de monter à cheval et de s’y tenir convenablement. De même, après qu’auront été acquis les premiers rudiments du vol, l’acrobatie aérienne fera apparaître son évidente utilité pour le perfectionnement des pilotes de toutes catégories. C’est de cette mise en confiance que viendra, pour l’élève, amené dans une position imprévue, la maîtrise nécessaire pour rétablir, par des manœuvres judicieuses, son avion dans une situation normale de vol.
En ce qui concerne l’éducation des pilotes militaires, le cours d’école d’acrobatie est rendu obligatoire. Si le pilote doit être chargé, par la suite, de missions d’observation, les principes d’acrobatie qui lui seront inculqués lui permettront de rétablir son appareil envol normal lorsque de mauvaises conditions atmosphériques l’auront entraîné dans des positions critiques, et surtout pour le pilote destiné à un régiment de chasse, un tel perfectionnement d’acrobatie prendra une importance considérable du fait que le principal travail en escadrille consistera pour lui en des exercices de combat sur monoplace ; ce type d’appareil exige, on le sait, une extrême maniabilité, tant pour la défensive que pour l’attaque des avions ennemis. La précision du tir doit, d’ailleurs être la qualité primordiale d’un pilote de chasse ; or, ce dernier n’effectue pas ses visées avec une arme mobile, mais avec l’ensemble de l’avion lui-même, ce qui l’oblige à une action extrêmement exacte sur ses commandes de direction.
Si les manœuvres d’acrobatie servent à l’enseignement du pilotage et affirment la finesse de l’aviateur, elles ont également leur précieuse utilité lors des essais d’avions nouveaux.
C’est dans cette mission de contrôle que le pilote d’essais joue chaque jour un rôle obscur qui n’est pas sans danger. Le profane qui a l’occasion d’assister à l’un de ces vols d’essai au cours duquel seront exécutés les mouvements les plus inattendus, sera porté à une injuste critique qu’il ne formulerait assurément pas s’il pouvait apprécier qu’il s’agit là d’exercices commandés, exécutés avec beaucoup de méthode et de précision d’après ne progression aussi prudente qu’étudiées.
De tels vols d’épreuve doivent permettre aux ingénieurs du contrôle d’établir la résistance de chaque commande, la façon dont l’appareil se comporte en piqué, ses ressources, la facilité de conduite, en un mot la maniabilité générale de l’avion.
Je ne sais si c’est l’atavisme qui me fait ressentir de façon plus particulière les nombreux points de rapprochement existant entre la haute école hippique et l’acrobatie aérienne.
Il n’est certes pas besoin de longue réflexion pour apprécier le profit que tire l’art équestre d’une meilleure connaissance des moyens d’action sur « la plus noble conquête de l’homme ». Et quand, dans la « carrière » de Saumur, un écuyer, par des déplacements de mains à peine perceptibles ou par une opportune pression des jambes, sollicite de sa monture l’exécution d’une « cabriole » ou d’un « pas espagnol », n’est-on pas tenté de le comparer à ce pilote qui fait corps avec son avion obtenant de celui-ci, par une combinaison habile du moteur et des gouvernes toutes las acrobaties élégantes ou impressionnantes au gré de sa fantaisie ? C’est en connaissant mieux la valeur de ses « aides » que l’écuyer s’affine. C’est en essayant de « sentir » d’une façon plus précise son appareil que le pilote se perfectionne.
Dans le domaine de la haute école proprement dite, on distingue deux écoles nettement différentes.
La première, qui, d’une façon générale, s’exécute en force, se rapporte aux exhibitions de monoplaces à moteurs puissants. Dans de telles présentations, les montées « en chandelle », les « piqués à plein gaz » impressionnent vivement le public par la rapidité de leur réalisation autant que par le vacarme assourdissant qui l’accompagne. Ces exercices exigent du pilote un coup d’œil extrêmement précis, des décisions instantanées, beaucoup de mesure dans les reprises du moteur qui doivent être effectuées avec une savante progression. Ainsi qu’on l’écrivait récemment, le créateur de cette école et son représentant le plus distingué, Marcel Doret, se présente comme un « remarquable virtuose de l’accélération ».
La seconde école est celle que représenta, avant tout, d’autorité, le regretté Fronval, dont je suis le fervent disciple. Cette méthode est tout entière définie par le mot souplesse, la souplesse des mouvements déterminant la douceur de la conduite. Ici, l’impression sur le public est moins forte ; le travail lui-même paraît plus facile, l’avion semble évoluer sans effort : le vol à l’envers en est le principe.
Ainsi donc, qu’elles s’exécutent au-dessus des terrains de travail ou à l’occasion d’un meeting, les manœuvres d’acrobatie répondent à une nécessité certaine déterminant un progrès constant dans l’art du pilotage.
Michel Détroyat
Source : Sébastien Détroyat, Transcription : Sophie Détroyat