E. Udet à Cointrin devant son Flamingo (15 juin 1930).
Et l’on prépare un 5ème meeting international d’aviation à Cointrin tant la population régionale est fascinée par les évolutions aériennes. En avril et mai 1921, une nouveauté justifiait à elle seule de 2 journées aériennes : le parachute ; en mai 1922 la Troupe d’aviation militaire réalisait tout le spectacle ; en mai 1925 les baptêmes de l’air font enfin participer la population ; en 1930 la voltige aérienne civile est là pour prouver quelle sécurité est aujourd’hui atteinte en aviation. Le public genevois est connaisseur, depuis septembre 1909 il a été convié à plus d’une douzaine de manifestations aériennes d’importance et à de plus nombreuses encore activités d’aviation. Ce qu’il ignore encore, c’est qu’il faudra attendre 17 ans pour voir le prochain grand meeting aérien ! Le crash de la Bourse (octobre 1930) et la 2ème Guerre mondiale vont mettre temporairement ces activités en sommeil.
La voltige aérienne, née officiellement en septembre 1913, fit de terribles progrès pour la raison que les combats aériens de 1914-18 obligeaient à jouer au chat et à la souris en 3 dimensions pour survivre ou pour tuer. Après-guerre, l’augmentation de puissance des moteurs croissant plus vite que le poids des avions, un plus grand nombre d’appareils peut réaliser des figures aériennes simples : looping, tonneau. Il est produit à l’intention des militaires des avions de plus en plus doué pour l’acrobatie et à l’éventuel combat aérien. Chaque nation a ses pilotes émérites dans ce domaine. En Allemagne depuis 10 ans, il s’agit d’Ernst Udet. En France, le champion est Marcel Doret. Les deux pilotes seront présents à Genève dans une joute pacifique et spectaculaire. Pour chacun, un meeting apporte aussi son intérêt, sorte d’écolage renouvelé, "il lui permet de mettre au point des exercices de haute école, exercices qui ne seront plus, comme à l’entraînement, effectués à une heure favorable et dans le calme d’un aérodrome désert, mais bien imposés par des organisateurs à une date et à l’heure qu’ils ont délibérément choisis. Le pilote, par la rigueur même de ses engagements ou de ses contrats, arrivera à une virtuosité qu’il lui sera difficile d’obtenir sans le meeting." (Michel Détroyat)
Udet et Doret, les 2 champions de voltige de 1930 : poids plume et poids lourd !
Ernst Udet (1896-1941), pilote militaire allemand à 18 ans, fut un as de la chasse dans l’escadrille Von Richthofen (où figurait aussi Goering), avec ses 62 victoires en combat aérien. Il a ensuite participé à des démonstrations en Amérique-du-Sud, à une expédition en Afrique orientale puis à l’élaboration des modèles d’avions léger en Allemagne (BFW à Augsburg), catégorie volontairement limitée par le Traité de Versailles de 1919. On l’a vu se poser avec un avion à skis sur un glacier à 2.900m près de St-Moritz (janv.1926) et au glacier du Trient (mai 1930) accompagné de son amie la vedette de cinéma Leni Riefenstahl. Il aide à la formation d’aviateurs militaires suisses (avril 1930) et tourne 3 films de cinéma utilisant ses avions dans les Alpes suisses : "Piz Palü" (Cinevox, Berne), "Tempête sur le Mont Blanc", puis "SOS Iceberg" au Spitzberg (1932).
En 1927, il a fait développer par BFW (ex Udet Flugzeugbau) et Messerschmitt un appareil très léger, du nom de "Flamingo", qui, bien que dépassé, lui permet de briller en voltige aérienne dans les grands concours internationaux jusqu’aux USA (Cleveland 1930). Quelques 200 biplans seront construit en bois léger et de petite taille (envergure 10m, longueur 7,5m, de 95 à 115cv). La version d’Udet à moteur Siemens & Halske Sh14 en étoile de 115cv (type U 12b Spezial) atteint 160km/h. Son fuselage porte la publicité pour l’allumage Scintilla (CH) et pour Siemens. Ses ailes sont peintes en jaune et le fuselage en rouge-brun. En vol sur le dos, l’immatriculation D-822 et le nom d’Udet sont visibles par tous les spectateurs.
Quant à Marcel Doret (1896-1955), engagé volontaire en 1914, artilleur au front, il n’est pilote militaire qu’en 1918 et s’initie à la voltige. Démobilisé il pratique divers métiers insatisfaisants. Heureusement, en 1923 il peut devenir pilote puis pilote d’essai chez Emile Dewoitine (F). Dewoitine est le grand défenseur du monoplan en France ainsi que de la carlingue en métal dès 1920. Mais des difficultés financières (1927) l’obligent à s’installer en Suisse en 1928 avec 4 employés dont Marcel Doret. Aux ateliers de Thoune ils développent un appareil qui fait son 1er vol en juin 1928, c’est le futur D-27. De ce prototype naîtront une centaine d’appareils pour les troupes d’aviation suisses (D-1/C-1, D-19, D-9/C-1, D-27, D-26). Pendant cette période Doret participe à de nombreux meetings de par le monde, suite au succès du film qu’il tourna en vol : "Roi de l’acrobatie aérienne". Il participe aux concours internationaux de voltige dès août 1927 dont il sort vainqueur (octobre) et devient champion du monde à Chicago (1930).
L’avion de Doret est un chasseur poids lourd : après quelques vols de démonstration, le D.27 no.2 entre en chantier à Toulouse à l’automne 1929. Remotorisé avec un Hispano-Suiza 12 Jb de 400 cv, il devient sur le papier le D.272 no.1 et reçoit l’immatriculation F-AJTE. A la liquidation de Dewoitine, l’appareil est racheté par Doret et participe aux nombreux meetings ou épreuves de voltige aérienne avec l’extrados de l’aile et de l’empennage horizontal zébré de bandes obliques rouges. Détruit en juillet 1936 l’appareil ne comptera que 267h de vol.
Au meeting international d’aviation : la haute voltige du 15 juin 1930
Le vendredi 13 juin après midi, les privilégiés de l’Aéro-club de Genève, voient en primeur les démonstrations d’Udet, non superstitieux, qui montre ce qu’il sait faire à basse altitude : un vol de longue durée sur le dos, des loopings moteur arrêté et un atterrissage en silence. Le soir, autour d’un repas se retrouvent notamment Udet, Marcel Weber, P.Balmer, le capitaine Fournet (Cie Star), Vaconsin (idem) et Dufour. Le samedi, Marcel Doret arrive en ville avec panache : "Je me souviens de l’arrivée à Genève en 1930. Une certaine animation régnait dans la Rade et je me devais d’inciter les braves gens à venir le lendemain assister à la fête aérienne qui justifiait ma présence. Par quelques passages à basse altitude, j’eu vite fait d’attirer leur attention et je prenais plaisir à tournoyer au-dessus de cette extrémité du Léman, quand j’aperçus un immense jet d’eau. De l’extrémité d’une jetée, il lançait verticalement et avec fierté un panache géant, scintillant aux rayons du soleil. Je voulus m’amuser avec lui. Cet exercice était en fait, pour moi, une occasion de m’entraîner à un calcul de précision. Lors de différents passages, je voulus diriger la trajectoire de mon avion en sorte que l’aile passât de plus en plus près du sommet de la gerbe, sans le toucher. Ayant obtenu les résultats recherchés, je décidai de couronner la manœuvre par une éphémère aspersion de l’extrémité de mon aile gauche qui pourfendit cet obstacle, humide, mais bien inoffensif. Après ce baptême de l’eau accordé à mon taxi, à quelque 30m d’altitude je rejoignis sagement le terrain, en évitant de survoler la ville pour ne pas, en pays étranger, sembler faire trop peu de cas des règles de la circulation aérienne."
Le meeting du dimanche 15 juin 1930 va se dérouler par un temps radieux. Tous les divers types de transports sont pris d’assaut, comme d’habitude, et malgré une bonne organisation, les queues et les embouteillages encerclent Cointrin. Quelques minutes avant 15h, tous les appareils sont en l’air dont un immense Bréguet 280T bleu et blanc piloté par Charpentier (F-AJKU). Au micro et durant le meeting, Adolphe Poulin commente les évolutions aériennes pendant les 55’ du spectacle. Les deux pilotes ont de nombreux points communs mais volent dans 2 catégories biens distinctes offrant 2 spectacles complémentaires. A 15h Udet débute sa démonstration. Dès le décollage il fait un départ sur l’aile et exécute un looping à raz terre. Puis il part voltiger autour des pylônes de TSF vers la route de Meyrin et se pose finalement moteur coupé. Doret lance son puissant moteur et fait une grimpée en chandelle puis enchaîne en altitude toutes les figures connues.
C’est alors que l’on lâche des petits ballonnets et qu’à 300km/h, leur fonçant dessus, Doret les fait exploser un par un. Il n’y a aucun rescapé. La foule apprécie cet appareil qui équipe la Troupe d’aviation dans la chasse. Puis Udet pratique à son tour une chasse aux ballonnets, donnant lui aussi toute sa maestria, maniant son avion léger avec une dextérité, une décision et une souplesse qui déconcertent l’observateur. Ces pilotes tiennent en haleine les dizaines de milliers de spectateurs venus les applaudir. Doret fait à nouveau une série d’acrobaties suivi par Udet qui réussit à tourner des tonneaux lents à faible altitude et vole sur le dos au ras du sol, une aile frôlant la piste d’envol. Jamais de pilotes n’ont présenté ici une exhibition semblable ! A plus d’une reprise Udet termine certaines figures à quelques mètres du sol. Ses glissades, se vols en oblique, ses virage impressionnants, effectués au milieu du terrain surprennent. Puis les 2 avions atterrissent définitivement, moteur coupé, pour le final.
L’après-midi se poursuit par des vols passagers. Les appareils d’Ad Astra-Aéro (Junkers F13, CH91) de Balair (2 Fokkers trimoteurs, CH162 CH164) et d’Air Union sont présents et pratiquent quelque 260 baptêmes de l’air au-dessus de Cointrin. L’Aéro-club fait de même avec ses avions-écoles de-Havilland Moth immatriculés CH208 et CH235. Un dernier appareil de ligne présent, arrivé vendredi, appartient à la Cie STAR (Soc. de Transport Aérien Rapide). Ce Nieuport-Delage Ni-D-641, monomoteur à aile haute au moteur en étoile Lorraine de 240cv est piloté par Vaconsin. Le 1er vol date de 1929 et l’appareil neuf sort d’usine (F-AJRA) et inaugurera la ligne Paris—Genève dans 15 jours, en 2h30’ sans escale et jusqu’en octobre. La STAR créée en mai, filiale de Nieuport-Delage possède 7 de ces appareils, transporte les journaux de Hachette en France et opèrera des lignes internationales pour 4 passagers vers Genève, Lympne (GB) puis Lausanne (1931). En résumé, ce meeting à Cointrin eut beaucoup de succès auprès du public. Pour ceux qui l’on raté, le dimanche suivant 22 juin, à Lausanne-Blécherette, un 2ème meeting voit à nouveau Udet et Doret partager le ciel avec Detroyat.
Après 1930 les destins de ces pilotes diffèrent grandement par la suite
Que sont devenus ces pilotes ? Udet passe "du ciel aux enfers". En 1936, flatté par Goering, il est inspecteur de la chasse et chef technique du Ministère de l’air. Convaincu par l’efficacité du bombardement en piqué il appuie le concept du Junkers "Stuka" puis passe Generalmajor en 1937. Des échecs dans le choix d’appareils, la responsabilité de pertes humaines l’amènent à l’alcool, la dépression et au suicide en novembre 1941. Quant à Marcel Doret, dès 1931, il devient un pilote de raid et sera détenteur de nombreux records du monde en avion et hydravion. Il cumule également les titres de champion du monde de voltige aérienne en avion et en planeur dès 1939. En 1944, il commande le 1er Groupe de Chasse FFI équipé de Dewoitine D-520 récupérés dans les unités d’entrainement de la Luftwaffe et participe à la réduction des poches de l’Atlantique. Après guerre, son activité s’oriente uniquement vers les meetings aériens, volant jusqu’à la fin 1951. Il s’éteint à 59 ans (août 1951) après 37 ans de carrière et 6.000h de vol.
Malgré une année 1930 performante, la STAR voit 5 de ses Ni-D-641 faire des atterrissages forcés au début de 1931 et la perte de plusieurs appareils dont le F-AJRA. Un pilote est tué, un autre blessé, un passager est tué et 4 autres blessés provoquant la fin de cette activité pour la STAR dès août. Tous les Ni-D-641 seront retirés et détruits.
Par : Jean-Claude Cailliez
Le : mardi 17 juin 2008